bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

lundi 3 juin 2013

Avignon, en 1791 on n'y faisait pas que danser.

Avignon

Cette jolie ville du sud de la France, fut autrefois, sous la souveraineté des papes, une capitale. Pendant soixante-deux ans, les papes, de Clément V à Grégoire XI, y firent leur résidence. Signe d’une époque troublée, d’architecture gothique, leur célèbre palais, fut bâti comme une forteresse.
                 
Le palais

C’est en 1309, que Clément V y transféra de Rome, le siège pontifical. Quarante années après, Clément VI acheta Avignon à la reine Jeanne de Naples, comtesse de Provence. En ce temps-là, avec de l’argent, on s’offrait des provinces, des villes, bêtes et gens compris.

Quatre cent quatre-vingt ans plus tard, c’est-à-dire en 1789, trois partis se disputaient le pouvoir dans l’ancienne capitale des papes. Le premier réunissait ceux qu’on appelait les amis de la liberté. Ce parti prônait le rattachement à la France et aux idées nouvelles. Le deuxième se composait d’ecclésiastiques, de nobles et d’hommes de loi. Nombreux, riches et très puissants, ils réclamaient le maintien de l’Etat pontifical indépendant.
Enfin, le dernier, sans forme distincte, était formé d’opportunistes, espèce fort dangereuse, qui attendait dans un certain confort, l’issue des tentatives des deux premiers avant de prendre le pouvoir à son tour.

A la fin du XVIIIe siècle, la municipalité d’Avignon était en majeure partie composée de citoyens paisibles et modérés. La révolution qui avait commencée en France, allait remettre, espéraient-ils, dans tous ses droits, un peuple dont la souveraineté avait été achetée quelques siècles plus tôt. Aussi, dès 1789, Avignon et sa région, le comtat, exprimaient le désir d’être réunis à la France.

Ce souhait, évidemment n’était pas du goût de tout le monde, en particulier il effrayait les partisans du pape, et, déjà, beaucoup d’entre eux, s’exilaient en Italie ; ils fuyaient le pays qui commençait à être livré au tumulte des idées nouvelles.

La question de la réunion d’Avignon à la France fut brandie pour la première fois, en 1790, à Paris. Ce fut un échec. Une considération prévalut dans le rejet : la crainte d’attaquer le pouvoir temporel d’un prince avec lequel on désirait encore entretenir de bonnes relations, religieuses et amicales
 
le célèbre pont
Persuadés, malgré tout, que le décret de la réunion n’était qu’ajourné, le parti clérical d’Avignon, pour garder le pays dans le giron de Rome, se hâtèrent d’exciter d’anciennes divisions entre Avignon la républicaine et Carpentras la catholique. Les circonstances le favorisaient. Tout fut mis en œuvre, insinuations, menaces, et même le recours aux miracles. Les papistes firent tant et tant que les haines entre les communautés et la guerre civile ne tardèrent pas à s’allumer.

Un matin, on trouva, dans l’ancienne capitale des papes, accroché à une enseigne, un mannequin représentant un officier municipal. Un écriteau attaché à son cou portait la condamnation des officiers municipaux et de tous ceux qui s’étaient déclaré pour la révolution et le rattachement à la France. Ils devaient, c’était écrit, faire en premier lieu amende honorable, ensuite avoir la langue arrachée et enfin être pendus. Telle était la condamnation. Cette provocation, comme on peut le penser, irrita le peuple. Un boulanger déclara avoir vu suspendre le mannequin ; menacé par des inconnus, il mourut de peur peu après. Un abbé fut accusé, on l’arrêta. Déclaré peu après innocent, on n’osa le libérer par crainte d’une vengeance populaire. Une forte odeur de poudre, de sang et d’acier commençait à se répandre dans l’air.

La garde nationale avait été créée en 1789. Dès le début, les cléricaux parvinrent à s’y créer un parti. A Avignon, elle était composée de sept compagnies, trois étaient commandées par des nobles, celles-là se rangèrent naturellement dans le parti pontifical ; les quatre autres compagnies se joignirent au parti républicain.

Le 10 juin 1791, l’hôtel de ville était gardé par l’une des trois compagnies tenant pour l’Etat pontifical. Le parti clérical profita de l’occasion. Cette compagnie s’empara des trois canons placés devant la porte du bâtiment. Au premier rassemblement, les canons et les fusils des mutins se déchargèrent sur l’attroupement. Immédiatement, la foule se dispersa et courut dans toutes les rues avoisinantes. De tous côtés, on entendait des cris et des appels à l’aide. Le tocsin sonna et l’alarme devint générale. Les armes sortirent et la contre-attaque s’organisa. La bataille dura de quatre heures de l’après-midi à sept heures du soir. Cinq citoyens trouvèrent la mort et quarante autres furent blessés. Mais la victoire fut au peuple. La porte de la commune lui fut rendue et les mutins désarmés.

Hélas, cette journée ne sera pas la dernière où des innocents perdront la vie.

Dès le lendemain, en représailles, des inconnus armés allèrent chercher deux nobles et un religieux, le marquis de Rochegude, le comte de Daulan, l’abbé Auffrey ainsi qu’un ouvrier du nom d’Aubert. Ils obligèrent le bourreau de les pendre. La municipalité instruite de ce nouveau crime, accourut en armes et sauva à temps d’autres victimes que ces assassins s’apprêtaient encore à immoler.

Le soir du même jour, les Avignonnais, réunis en conseil, se déclarèrent indépendants et décidèrent de demander officiellement la réunion à la France. Aussitôt, sur les portes de l’hôtel de ville, les armes de France remplacèrent celles du pape. Le lendemain, le vice-légat, représentant le pape, quitta la ville. Ce jour-là, finit définitivement la souveraineté de Rome sur Avignon.

Puis ce fut au tour des députés, désignés par la ville, de partirent. Ils devaient présenter à Paris le vœu officiel de la ville d’Avignon d’appartenir à la France. En attendant la réponse, le pays se trouvait sans gouvernement, sans tribunaux et sans pouvoir exécutif, la municipalité proposa alors aux villes du comtat, une fédération. Un pacte fut arrêté. Un corps électoral composé des électeurs de chaque commune fut chargé de l’organisation des administrations et de la nomination d’un pouvoir exécutif.
Mais bientôt, une rivalité de pouvoirs vit le jour entre cette assemblée et la municipalité d’Avignon. Le corps électoral voulait dominer tout le comtat, la cité d’Avignon comprise. Les choses en vinrent au point qu’Avignon retira son adhésion au pacte fédératif.

Cette Fédération désirait encore avoir son armée ; elle l’eût. Cette armée dite de Vaucluse, pour le malheur de la région, se composait en grande partie de déserteurs et de brigands.

Sa première mission : marcher contre Carpentras et réduire la ville en cendre. La troupe s’ébranla. Avec une artillerie nombreuse, elle mit le siège devant la cité papiste. Après plusieurs assauts, sans succès, elle se retira. Dans cette affaire, cette armée avait perdu quatre cent cinquante hommes.

Pendant ce temps, à Paris, le projet de réunion était présenté à l’Assemblée Constituante. Une nouvelle fois, la demande fut rejetée. L’Assemblée décida seulement d’envoyer des commissaires, chargés de proposer la médiation de la France dans le conflit qui opposait les différents partis. Sur place, ces commissaires parvinrent, tout de même, à faire signer une suspension d’armes. Cette paix, à laquelle personne ne croyait, ne fit qu’interrompre pour un moment les haines et les vengeances.

L’armée du Vaucluse se trouvait maintenant en dissension ouverte avec les autorités civiles à qui elle devait son existence. L’assemblée électorale, qui avait exercé tous les pouvoirs, fut elle-même violentée, dissoute, et ses représentants traînés dans les camps par les militaires. Pour se payer, cette armée rançonnait les paysans et, lorsque les campagnes n’offrirent plus rien qui pût exciter l’avidité des soldats, ils entrèrent dans Avignon.

Avignon
Le 11 août, vers une heure de l’après-midi, une troupe armée se porta à l’hôtel de ville d’Avignon et s’en empara. Deux officiers municipaux furent arrêtés et conduits en prison. Les registres furent saisis. On sonna le tocsin, l’on battit la générale et des patrouilles parcoururent les rues. Elles arrêtaient tous les opposants à l’armée. Soixante-dix personnes furent ainsi jetées dans des cachots. La municipalité fut suspendue et un conseil provisoire fut nommé à sa place.
Dès ce moment, la municipalité ne fut plus que l’instrument aveugle des fureurs d’une troupe enragée. Désormais, Avignon se trouvait livrée à l’arbitraire. Sous les plus légers prétextes, les citoyens étaient incarcérés.

Pendant ces événements, le parti clérical ne désarmait pas, il continuait son action.

Le décret qu’avait publié ce conseil provisoire touchait l’enlèvement des cloches des églises, fut présenté par les papistes sous les couleurs les plus haïssables dans des placards affichés partout. Pour aggraver encore la situation, les caisses d’argenterie et les vases sacrés de la cathédrale, déposées par l’ancienne municipalité au Mont-de-piété, furent saisies publiquement par le nouveau pouvoir. Devant ces sacrilèges, les cléricaux eurent recours à une image de la vierge, qui devint subitement rouge à la vue de ces profanations, il se racontait même qu’elle en avait pleuré.

Aussi, le 16 octobre, le peuple, influencé par toutes ces manoeuvres, déçu au plus haut degré par le changement brutal de régime, se rassembla aux cordeliers. Les femmes s’y rendirent en foule. Le sexe dans cette histoire, n’est pas resté un seul moment indifférent à ce qui se passait. Des deux côtés, on vit les Avignonnaises se mêler à tous les mouvements ; elles s’associèrent malheureusement aussi à toutes les atrocités.
On s’effrayait des dilapidations commises par les administrateurs provisoires : on voulait les sommer d’en rendre compte. Lescuyer, secrétaire de la municipalité, rencontré par hasard dans la rue, fut de force conduit aux cordeliers. Là, interrogé, ses réponses furent embarrassées ; accusé de malversation, le populaire, furieux, tomba sur lui ; des femmes, avec des ciseaux, lui crevèrent les yeux avant d’immoler le malheureux Lescuyer. Le crime commis, tous crièrent « victoire ! » et s’enfuirent de tous côtés.

Assassinat de Lescuyer dans les cordeliers
La troupe, commandée par Jourdan dit coupe-tête, pour légitimer ses excès à la tête du conseil provisoire de la municipalité, semblait attendre et même souhaiter cet acte criminel. Cet assassinat horrible permit au nouveau pouvoir de se venger avec une ardeur hors du commun. La troupe commença par tirer sur tous rassemblements hostiles, puis à jeter ceux qui tombaient entre ses mains dans les cachots du palais des papes. La nuit suivante, officiers municipaux, femmes, filles, enfants, tous ceux qui furent arrêtés, seront massacrés, une boucherie humaine qui continuera les jours suivants.

Arrestations et premiers massacres
Les commissaires médiateurs envoyés par la France étaient sur les lieux ; ils devaient s’y opposer ; ils avaient les pleins pouvoirs : la force armée avait l’ordre de marcher sur leur réquisition. Mais cette force armée n’était ni assez nombreuse ni assez proche. Tous le savaient et tous agirent en conséquence.

Une partie du palais des papes est connue sous le nom de La Glacière, elle contenait autrefois l’arsenal, les prisons, les salles destinées à l’administration de la justice, et le logement du vice-légat. Soixante personnes de tout âge, de tout sexe, y avaient été enfermées pour venger la mort de Lescuyer.

Je laisse ici la plume à un contemporain de ces événements, je ne saurais décrire ce crime atroce aussi bien que lui.


« …On voulut venger l’assassinat de Lescuyer. De quel nombre de victimes sera formée l’hécatombe humaine ? Ecoutez ! C’est la cloche d’argent !...C’est le tocsin ! Où vont ces femmes ; ou plutôt ces furies ? Où vont ces égorgeurs ? Ils sont armés de poignards aiguisés. Au milieu de ces monstres, je distingue un jeune homme ; il n’a que seize ans ; il s’écrie :J’en ai frappé sept !
Les Avignonnais avaient écrit que ces prisonniers étaient sacrés ; leur prison est le palais où les juges rendent la justice ; ils étaient accusés, ils devaient être traduits par devant les tribunaux ; un fer assassin les a moissonnés : ils étaient au nombre de soixante et un, dont treize femmes. Spectacle d’horreur ! la mère vient d’expirer sur le corps de son fils ! le fils expire sur le corps de son père ! Quelle est cette femme ? elle est enceinte ! le glaive de la loi, fut-elle coupable ; respecterait cette victime ; les bourreaux se relayent ; ils continuent ces massacres ; cette femme, qui est enceinte, est frappée aussi de mort, et, avec elle, dans ses entrailles, l’innocent qui n’est pas encore né, descend dans l’abîme d’horreur ; les meurtriers de cette femme précipitent ce vif dans le mort, de toute la hauteur du palais dans la cour, où il y avait une fosse.
A l’entrée de chaque chambre, on assommait avec une barre de fer les malheureux les uns après les autres. Dans le nombre de ces assommeurs, un nommé Barbe, prêtre, donnait l’absolution à chaque individu, au moment où il recevait le coup mortel. Il se tenait dans l’encoignure de la porte où étaient amenées les victimes ; aussitôt on les jetait du haut de la tour dans une fosse garnie de chaux vive. Le citoyen Lami, fils, pénétra dans la chambre de son père pour le sauver ; mais en vain, ayant été aperçu par les assassins. Les cannibales ne pouvant le séparer de son père, qui le tenait dans ses bras, poussèrent l’atrocité jusqu’à les jeter tous deux vivants dans la fosse. Ils furent retrouvés morts, leurs bouches l’une sur l’autre. Le  fils n’avait pourtant contre lui que la témérité qu’il avait eue de s’introduire dans la prison pour sauver son père. Niel fils, imprimeur, fut tué sur sa mère, qui fut massacrée en même temps. Niel oncle et son fils périrent aussi. Girard, marchand de soie ; Lami, père, architecte ; Collet, marchand ; Mouvant, prêtre de l’Oratoire ; Chapuis, notable, tourneur. Les noms des autres victimes sont perdus.
Lescuyer avait un fils ; quelques personnes le soupçonnent d’avoir contribué à cette terrible vengeance de la mort de son père…Dans le nombre des assassins, il se trouve le frère de Raphel ; Bergin, Julien, et Felix Combès, tous administrateurs provisoires… »

Massacre dans la glacière
Le département du Gard dénonça toutes ces atrocités au Corps législatif, celui-ci resta sourd. Plus grave ! Un pardon fut octroyé à ces effroyables criminels. Aucun des égorgeurs de la Glacière ne fut poursuivi. Plus impardonnable encore ! Ce crime effrayant sera amnistié par l’Assemblée législative par le décret du 28 mars 1792, concernant tous les crimes et délits commis jusqu’au 8 octobre 1791. Beaucoup de ces criminels firent plus tard carrière sous la terreur, le directoire, le premier empire et leur nom fut honoré de tous… de tous… ?

Les coupables graciés

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