bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

mardi 13 novembre 2012

Napoléon et l'affaire d'Espagne 6

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Ferdinand VII, prisonnier en France, faisait propager en Espagne et particulièrement à Madrid, des libelles. On voulait, à Bayonne, déclarait-il, lui arracher ses droits. Il était l’objet, là-bas, de violences brutales ; mais son peuple devait savoir qu’il opposait aux ennemis de l’Espagne, une résistance héroïque ; enfin ses sujets apprendraient plutôt sa mort que sa soumission à la volonté des Etrangers. C’était la bonne manière d’exalter en sa faveur la multitude de la capitale. Ces écrits excitaient au plus haut point les passions. Quant à la junte, elle dissimulait ses sentiments. Elle affectait une grande déférence envers Murat mais restait dévouée à Ferdinand et attendait ses ordres. Elle était prête à s’exiler, à proclamer la royauté légitime et à provoquer un soulèvement national et pour finir à déclarer la guerre à l’usurpateur. En attendant, cette assemblée continuait à travailler avec Murat.


Napoléon et ses conseillers à Bayonne

Devant le refus de Ferdinand VII de renoncer à la couronne qu’il avait arrachée à son père, Napoléon demanda qu’on lui envoie tous les membres de la famille royale restés à Madrid. Il recommanda en même temps de préparer les esprits à un changement de dynastie et de communiquer au gouvernement et au conseil de Castille la protestation de Charles IV. Protestation qui devait réduire à néant la royauté de Ferdinand VII, sans pour autant rétablir celle de Charles IV.

L’un des membres de la famille royale, le jeune infant don Francisco, était placé à cause de son jeune âge sous l’autorité de la junte. La junte devinait bien l’intention de ces départs : l’enlèvement des derniers représentants de la monarchie espagnole. Pour discuter de la situation, elle se réunit dans la nuit du 30 avril au 1er mai. La séance fut fort agitée. Quelques-uns voulaient qu’on s’opposa à ces départs. Ne pas céder à l’ordre de l’empereur et résister ouvertement par la force si nécessaire. Le ministre de la guerre O’Farril exposa la situation de l’armée. L’armée désorganisée, dispersée au Nord de l’Europe, au Portugal et sur les côtes, ne présentait à Madrid qu’une force de trois mille hommes, pas plus. Les plus excités voulaient qu’on y joignîsse le peuple armé de couteaux et de fusils de chasse. La majorité opina pour qu’on répondit à Murat par un refus voilé, évitant toutefois de provoquer un affrontement direct. A côté de la junte, une réunion plus secrète encore, de patriotes, mécontents de ce qu’ils appelaient la faiblesse de la junte, voulaient empêcher le départ du reste de la famille royale par tous les moyens possibles. Ces mécontents encourageaient le peuple à haïr les Français. Celui-ci, du reste, n’avait pas besoin d’être excité, les Français ne lui inspirait aucun respect. Déjà, des environs, des paysans armés de leurs fusils et de leurs coutelas étaient accourus à Madrid. Comme des matadors face au taureau dans l’arène, ils s’habituaient à braver des yeux les Français, avant de les combattre. Quelques uns, fanatisés par les moines, commettaient d’affreux assassinats. Un homme avait tué à coups de couteau deux soldats et blessé un troisième, sous l’inspiration disait-il de la sainte vierge. Le curé de Caramanchel, village aux portes de Madrid, avait assassiné un officier français. Murat avait fait punir exemplairement les auteurs de ces crimes, mais la haine qui commençait à naître ne s’apaisait pas, que du contraire.


Le dimanche 1er mai attira dans la capitale beaucoup de gens de la campagne. Des visages hostiles et fermes se mêlaient à la foule nombreuse qui encombrait les différentes places de Madrid. A la Puerta del Sol, grande place du centre de Madrid, une foule épaisse se faisait de plus en plus menaçante. Murat y envoya quelques centaines de dragons, dont l'aspect redoutable et farouche dissipa cette multitude et l’obligea à se tenir tranquille…provisoirement...


Murat

Murat, auquel la junte avait communiqué son refus fort adouci, répondit qu’il se passerait de leur avis - La reine d’Etrurie et l’infant don Francisco partiront conformément aux désirs de l’empereur - Déclaration à laquelle on n’opposa pas de réplique. Le lendemain en effet, dès huit heures du matin, les voitures de la cour stationnaient devant le palais. La reine d’Etrurie se prêtait très volontiers à ce départ. Quant à l’infant don Francisco - le bruit courait aux portes du palais - il versait des larmes. Cette rumeur, répandue de bouche en bouche, produisit une vive agitation parmi les nombreux curieux qui attendaient devant le palais.
Tout à coup, sur la place, arriva au trot rapide de son cheval, un aide-de-camp de Murat. Le généralissime l’envoyait complimenter les membres de la famille royale au moment de leur départ. L’uniforme français provoqua dans la foule des cris de colère. Des pierres volèrent en direction de l’aide-de-camp. On se préparait déjà à égorger l’officier, lorsqu’une douzaine de grenadiers de la garde aperçurent le tumulte. Les soldats se jetèrent baïonnette en avant au plus épais de la foule, et dégagèrent l’aide-de-camp malmené. Comme à Aranjuez, quelques coups de fusil donnèrent le signal du soulèvement général. De toutes parts une fusillade violente commença à se faire entendre. Exaltée et furieuse, la population se précipita sur tout ce qui portait un uniforme français. Ceux qui tombèrent entre ses mains furent massacrés avec une horrible férocité. D’autres plus heureux, durent la vie à l’humanité de certains, qui les cachèrent dans leur maison au péril de leur vie.




Au premier bruit, préparé à l’émeute, avec la résolution d’un général habitué à toutes les situations de guerre, Murat était monté à cheval et avait donné ses ordres. Il fallait recevoir énergiquement les révoltés, de manière à leur ôter tout espoir de résistance. surtout ne pas s’engager dans l’intérieur de la ville, mais occuper la tête des rues principales par de fortes batteries et faire goûter aux émeutiers la puissance des canons. Et partout où la foule oserait encore se montrer, la faire expirer sous le sabre des cuirassiers. C’était de cette manière que Bonaparte avait pratiqué la guerre de rue en Egypte et en Italie.

Murat avait ordonné aux troupes des camps extérieurs à la capitale espagnole de s’ébranler pour entrer dans Madrid par toutes les portes à la fois. Les plus rapprochées, celles du général Grouchy, établies près du palais de Buen Retiro, devaient se diriger sur la Puerta del Sol, tandis que le colonel Frederichs, partant avec les fusiliers de la garde du palais, situé à l’extrémité opposée, devait se porter à la rencontre du général Grouchy, vers cette même Puerta del Sol où devaient aboutir tous les mouvements. Par un autre itinéraire, le général Lefranc, établi au couvent de San Bernardo, devait aussi y marcher. Au même instant les cuirassiers et la cavalerie arrivant par la route de Caravanchel avaient reçu l’ordre d’entrer dans la ville par la porte de Tolède. Sans le savoir, les révoltés, remplis d’espérances, se trouvaient déjà pris dans une nasse. Murat, à la tête de la cavalerie de la garde, se tenait derrière le palais royal, placé ainsi en dehors des quartiers populaires, il était libre de se porter partout où besoin serait.

L’action commença sur la place du palais, où Murat avait dirigé un bataillon d’infanterie de la garde, précédé d’une batterie. Un feu de peloton, suivi de quelques coups de mitraille, firent bientôt évacuer cette place.  Le palais et les alentours dégagés, le colonel Frederichs marcha avec ses fusiliers sur la Puerta del Sol, à la rencontre du général Grouchy et de ses troupes. Le peuple, malgré le soutien des paysans, ne tenait pas. On s’arrêtait à tous les coins de rues pour tirer, puis les maisons étaient envahies pour faire feu des fenêtres. Les Français suivaient, tuait à coups de baïonnette et jetait par les fenêtres les révoltés pris les armes à la main.


Puerta del Sol (Goya)

Les deux colonnes françaises, marchant à la rencontre l’une de l’autre, avaient refoulé à la Puerta del Sol, la multitude furieuse. Du milieu de cette masse, les plus obstinés continuaient à tirer sur la troupe. Alors, quelques escadrons de chasseurs et de mamelucks de la garde, pénétrèrent et sabrèrent cette masse. Les mamelukes surtout, se servant de leurs sabres recourbés avec une grande dextérité, firent tomber des têtes. Ils semaient ainsi l’épouvante parmi les révoltés. De cette terrible manière, les cavaliers français obligèrent la foule à se disperser par toutes les issues restées encore libres. La foule repoussée se réfugia, une fois encore, dans les maisons pour tirer des fenêtres. Les troupes du général Grouchy eurent plusieurs affaires sanglantes à faire dans la rue de San Geronimo, surtout à l’hôtel du duc de Hijar, d’où partaient des coups de feux meurtriers. Celles du général Lefranc eurent à soutenir un combat plus opiniâtre encore à l’arsenal, où était renfermée une partie de la garnison de Madrid, avec ordre de ne pas combattre. Des insurgés s’étaient introduit dans l’arsenal et faisaient feu sur les Français. Cette occupation forcée obligea, malgré eux, les artilleurs espagnols consignés d’entrer dans la lutte. Les soldats français, conduits vivement à l’assaut du bâtiment, entrèrent et débusquèrent les défenseurs. Cet engagement coûta fort cher aux Espagnols – Pas de pitié - Cette action rapide et sanglante empêcha le peuple de s’emparer des armes et des munitions entreposés dans le bâtiment.

Deux ou trois heures suffirent pour réprimer cette révolte, et après la prise de l’arsenal, on n’entendit plus que quelques coups de feu isolés.  A l’hôtel des Postes, Murat avait fait former une commission militaire. Elle ordonnait l’exécution immédiate de tous les combattants saisis les armes à la main. Quelques-uns furent, pour l’exemple, fusillés sur-le-champ, au Prado même. Les autres, cherchant à s’enfuir vers la campagne, furent poursuivis et sabrés par les cuirassiers. Tout fut pacifié par la terreur d’une rapide répression, et par la présence des ministres espagnols O’Farrill et Azanza, qui accompagnés du général Harispe, chef d’état-major de Major de Murat, faisaient cesser le combat partout où il en restait quelque trace. Ils demandèrent aussi, et on leur accorda sans difficulté, la fin des exécutions ordonnées à l’hôtel des Postes.




Dans cette affaire, pour les Français, la junte avait perdu toute représentativité. Murat désormais lieutenant du royaume, président de la junte, investi de tous les pouvoirs de la royauté s’établit au palais royal. Il occupa les appartements de Ferdinand VII. De là, il écrivit à Napoléon la relation des événements violents de la journée. Toute la force de résistance des Espagnols, écrivait-il, s’était épuisée dans la journée du 2 mai…qu’on n’avait qu’à désigner le roi destiné à l’Espagne, et que ce roi régnerait sans obstacle…. »

Commença alors une sorte d’interrègne commode pour accomplir le projet d’usurpation du trône d’Espagne par l’empereur des Français.

A Bayonne, pendant ce temps, les journées se passaient en débats puérils. Ferdinand VII écoutant ses conseillers, bien plus courageux que lui, refusait toujours de céder sa couronne à son père. Napoléon s’impatientait de plus en plus. Enfin, le 5 mai, un courrier de Madrid arriva vers quatre heures de l’après-midi au château de Maracq, résidence de l’empereur.
A ce moment, Napoléon sortait de dîner. Il se promenait dans le parc, donnant le bras à la reine d’Espagne, à côté de lui se tenait Charles IV. L’impératrice Joséphine, les princes d’Espagne Ferdinand – il n’était déjà plus roi - et Carlos les suivaient.
Un officier vint prévenir l’empereur qu’un officier envoyé par le prince Murat était arrivé. Suivi des membres de la famille royale d’Espagne, Napoléon s’avança vers l’envoyé. A haute voix, il lui demanda « Qu’y a-t-il de nouveau à Madrid ? ». L’envoyé, c’était Marbot, qui embarrassé par la présence de la cour et de « ses invités Espagnols», pensa que Napoléon serait sans doute bien intéressé d’avoir la primeur des nouvelles apportées par lui.  Marbot eut la prudence de présenter les dépêches en fixant l’empereur dans les yeux sans répondre à sa question. L’empereur comprit et s’éloigna, seul, de quelques pas.  Au bout d’un moment, l’empereur demanda que l’on prie Charles IV et la reine de venir le rejoindre. Tout de suite, à la lecture des nouvelles, Napoléon avait vu le moyen de produire la secousse dont il avait besoin pour terminer cette espèce de négociation entamée avec les princes d’Espagne.

Cette tragi-comédie était à son dernier acte, à présent, le dénouement va apparaître.  Les passions et l’aveuglement des personnages les pousseront eux-mêmes à la catastrophe dans laquelle ils s’abîmeront tous ensembles. Et comme prévu, les Bourbons s’aviliront. Piteusement cette famille d’Atride se déchirera devant l'empereur et sa cour.


Château de Maracq

Les anciens souverains de l’Espagne s’étant avancés seuls vers l’empereur, celui-ci leur annonça probablement la révolte et le combat de Madrid, car Charles IV s’approchant vivement de son fils Ferdinand, lu dit à haute voix avec l’accent de la plus grande colère : « Misérable ! sois satisfait ; Madrid vient d’être baigné dans le sang de mes sujets, répandu par suite de ta criminelle rébellion contre ton père !.... que ce sang retombe sur ta tête…» La reine se joignant au roi accabla son fils des plus aigres reproches et leva même la main sur lui !... Alors les dames et les officiers s’éloignèrent par convenance de cette scène dégoûtante, à laquelle Napoléon vint mettre un terme.
Et le soir…Mais laissons raconter Napoléon lui-même : « Je me suis rendu chez le roi Charles, j’y ai fait venir les deux princes. Le roi et la reine leur ont parlé avec la plus grande indignation. Quant à moi, je leur ai dit : « Si d’ici à minuit, vous n’avez pas reconnu votre père pour votre roi légitime et ne le mandez à Madrid, vous serez traitez comme rebelles »
Ferdinand, qui n’avait pas répondu un seul mot aux remontrances sévères de ses parents, résigna le soir même la couronne à son père ; il le fit moins par repentir que par crainte d’être traité comme l’auteur de la conspiration qui avait renversé Charles IV. Ferdinand écrivit à Madrid «  la junte suivra les ordres et commandements de mon bien-aimé père. »
Le lendemain, le vieux roi, cédant à un ignoble désir de vengeance, par une convention fit à l’empereur l’abandon de tous ses droits à la couronne d’Espagne, moyennant quelques conditions, dont la principale lui conférait la propriété du château et de la forêt de Compiègne, ainsi qu’une pension de sept millions et demi de francs. En qualité de prince des Asturies, Ferdinand adhéra à la cession faite par son père à Napoléon. Le prince eut encore la lâcheté de se désister de ses droits héréditaires en faveur de l’empereur, qui lui accorda un million de traitement et le beau château de Navarre, en Normandie
Napoléon garantit l’intégrité du royaume d’Espagne et le maintien exclusif de la religion catholique.

Les affaires étaient finies avec les princes d’Espagne. Ces Bourbons avaient tendu vers l'empereur des Français leurs mains ouvertes, serviles, ils s’étaient prosternés devant lui.  Napoléon par la ruse, par la force, par son art de jouer de la sottise et de la corruption des hommes, avait gagné. Restait, à présent, à réaliser la révolution en Espagne, et cela restait une autre affaire.

Epilogue

La journée fatale du 2 mai, devait plus tard avoir en Espagne, un retentissement terrible.  L’impression était profonde, en effet, chez le peuple de Madrid, et, dans son exagération, il débitait et croyait qu’il y avait eu plusieurs milliers de morts ou de blessés. Il n’en était rien cependant, car les insurgés avaient à peine perdu quatre cents hommes, et les Français une centaine au plus. Mais comme de coutume, la terreur, grossissant les nombres, donnait à cette journée une importance morale très supérieure à son importance matérielle.

On admet généralement que l’insurrection d’Aranjuez, qui détermina le renvoi du prince de la paix et l’abdication de Charles IV, porta le premier coup à l’autorité royale dans les colonies de l’Espagne. Un monarque absolu, forcé de courber la tête devant une populace factieuse, insulté par ses sujets, abandonné de ses gardes, était un spectacle bien fait pour affaiblir au loin, chez les colons d’Amérique, le sentiment monarchique et le culte de la royauté ; et, lorsqu’à la suite de ces tristes scènes arriva l’invasion de la péninsule par Napoléon, la captivité du monarque, la ruine de la vieille dynastie à Bayonne, ce qui restait de prestige attaché au nom de l’Espagne s’évanouit dans l’esprit des Américains, qui, jusqu’alors, croyaient toujours au grand empire du seizième siècle, la terreur du monde, sur les terres duquel le soleil ne se couchait jamais. Cette croyance était l’ange gardien de la mère patrie en perdant cet appui, elle perdait sa force morale, la seule qui pût tenir en obéissance ses dix-sept millions de sujets d’outre-mer. Dès ce moment, la perte de ses colonies devint inévitable.




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