bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

jeudi 29 mars 2012

Balzac et la Touraine

« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine, je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert…je l’aime comme un artiste aime l’art.  Sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus ! »
Balzac- Le Lys dans la Vallée

« J’achète la Grenadière… », « …Montcontour est à vendre ! ».
Extraits de correspondances

La Grenadière, un lieu cher à Balzac, il y garde le souvenir de l’été 1830, passé là avec Laure de Berny, l’amante secourable.  Il ne l’achètera pas mais y fera vivre l’un de ses personnages, Lady Brandon.  Montcontour, un de ces petits châteaux de Touraine, blancs, jolis, à tourelles, restera à jamais un rêve pour le romancier.

Honoré de Balzac et la vallée de la Loire seront indissociables.  Véritable réservoir  de modèles, de paysages, la région anime sa « Comédie Humaine ». 

« Son froc en arrière, laissait à découvert son col d’athlète ou de taureau, rond comme un tronçon de colonne, sans muscles apparents, et d’une blancheur satinée qui contrastait avec le ton plus coloré de la face…Il présentait les signes d’une santé violente peu en harmonie avec les pâleurs et les verdeurs romantiques à la mode.  Son pur sang tourangeau fouettait ses joues pleines d’une pourpre vivace et coloriait chaudement ses bonnes lèvres épaisses et sinueuses, faciles au rire… »  Balzac par Théophile Gautier - 1835

Honoré ouvre les yeux à Tours, au bord de cette Loire, le 20 mai 1799, dans une maison aujourd’hui disparue.

« Tours a toujours été et sera toujours, les pieds dans la Loire, comme une jolie fille qui se baigne et joue avec l’eau, faisant flic flac en fouettant les ondes avec ses mains blanches ; car cette ville est rieuse, amoureuse, fraîche, fleurie, parfumée mieux que toutes les autres villes du monde, qui ne sont pas tant seulement dignes de lui peigner ses cheveux, ni de lui nouer sa ceinture… »
Balzac – Les contes drolatiques


Très vite séparé de ses parents, Honoré est conduit à Saint-Cyr, chez une nourrice.

«  Le désir de revoir le petit village de Saint-Cyr où demeurait ma nourrice me fit diriger mes pas de ce côté.  Je m’informais si elle vivait encore dans le dessein de lui procurer une douce aisance qui dorât ses vieux jours.  J’appris avec douleur qu’elle était morte.  Alors je me mis à visiter  tous les sentiers témoins de mes premiers pas… » Balzac - Sténie

 Il ne retrouvera ses parents qu’à l’âge de quatre ans.

Dans la maison paternel, rue de l’armée d’Italie, aujourd’hui rue Nationale, Honoré coule alors des jours tranquilles. 

Son père, Bernard-François, est un notable. Il fait fonction d’adjoint au maire, d’administrateur des Hospices et d’assesseur auprès du juge de paix de Tours.  Impliqué dans une faillite, il échappera, grâce à d’utiles protections, à la justice, mais devra quitter la ville en 1814.

La mère, Laure Sallambier, n’aimait guère le petit Honoré.

«  de quatre à six ans, je la voyais les dimanches…quand elle m’a pris chez elle, elle m’a rendu la vie si dure qu’à dix-huit ans, en 1817, je quittais la maison paternelle…j’ai donc été, moi et Laurence, l’objet de sa haine. » Extrait de correspondance.

Avant d’aller à Vendôme, il fréquente à Tours, la pension Le Guay où il retrouve les enfants de la petite bourgeoisie tourangelle.

«  Moi, chétif et malingre, à cinq ans je fus envoyé comme externe dans une pension de la ville, conduit le matin et ramené le soir par le valet de chambre de mon père.  Je partais en emportant un panier peu fourni, tandis que mes camarades apportaient d’abondantes provisions.  Ce contraste entre mon dénûment et leur richesse engendra mille souffrances... »
Balzac-Le Lys dans la Vallée

Il se rattrapera plus tard.

« Balzac mangeait avec une joviale gourmandise qui inspirait l’appétit et il buvait d’une façon pantagruélique.  Quatre bouteilles de vin blanc de Vouvray, un des plus capiteux qu’on connaisse, n’altéraient en rien sa forte cervelle et ne faisaient que donner un pétillement plus vif à sa gaieté… » 
Balzac par Théophile Gautier

A huit ans, il entre au collège des Oratoriens de Vendôme.  Pensionnaire à l’année de 1807 à 1813, sa mère ne lui rend visite que deux fois.
Ses professeurs le jugent paresseux.  Sa mère confirme : «  cet enfant ne nous donnera que des chagrins ».  Mais lui n’en a cure, il décoche à un camarade «  un jour je serai célèbre ».  
Sans doute porte-t-il déjà en lui l’esquisse de sa grande fresque.  En vingt ans, une centaine de romans et plus de deux mille personnages. 

En attendant, il vit une période maudite. 
Volontairement malade, il revient à Tours. 
1814,  il fait son entrée au collège Royal. 

Arrive ensuite le départ pour Paris.  Des études de droit, clerc chez un notaire, métier qu’il abandonne au bout de deux ans.  Une première œuvre «  Cromwell », quelques récits.  Journaliste, imprimeur, éditeur, il échoue dans toutes ses entreprises.  Puis vient le temps des projets insensés, des rêves de fortunes.  Les chèvres du Tibet qui ont perdu leurs poils, les toiles de maîtres qui se révèlent des croûtes sans valeur.  Surgissent, avec ces désastres, les soucis financiers.  Commencent alors les interminables poursuites, l’impossible jeu de cache-cache avec les créanciers et la recherche continuelle d’argent et aux femmes en mesure de lui en fournir.

La vie tourmentée de Balzac le ramène régulièrement dans sa région natale.  Un voyage de vingt-trois heures en diligence.
Son refuge de prédilection, il le trouve au château de Saché. C’est la propriété de Monsieur de Margonne.  Un ami de la famille, mais surtout l’ancien amant de sa mère et le père de son frère Henri. On comprend pourquoi celui-ci, malgré une femme acariâtre, ouvre généreusement les portes de son château, au romancier.   Aussi Honoré ne s’en prive pas.  

« Saché est un débris de château sur l’Indre, dans une des plus délicieuses vallées de Touraine.  Le propriétaire, homme de cinquante-cinq ans, m’a fait jadis sauter sur ses genoux.  Il a une femme intolérante et dévote, bossue, peu spirituelle.  Je vais là pour lui ; puis j’y suis libre… » extrait de correspondance


Dans sa chambre dont la fenêtre s’ouvre sur la vallée, assis dans son lit, le pupitre reposant sur les jambes ou sur la petite table que l’on voit encore, il écrit.  Couché à 6 ou 7 heures « comme les poules » disait-il, ce galérien des mots  se lève à une ou deux heures du matin pour 16 à 17 heures d’écriture entrecoupées de simples pauses et de tasses de café pur.

Quelquefois, le soir, pour les invités de ses hôtes, dans le salon où rien n’a changé, ni la cheminée de marbre noir à colonnettes, ni le papier peint, Honoré descend raconter et mimer les scènes qu’il vient d’écrire.

C’est avec le romancier que nous allons faire une ravissante promenade au jardin de la France.  En Touraine, de la vallée de la Loire à la vallée de l’Indre, de Tours à Saché, par le chemin emprunté par Felix de Vandenesse, le héros de son roman Le lys dans la vallée.  De Tours par le plateau de Charlemagne couvert aujourd’hui de vignes et de cultures, on peut s’arrêter un instant au bord de la route, peut-être au-dessous du même noyer où Felix s’arrêta, le cœur battant, conquis par

« ce long ruban d’eau qui ruisselle au soleil entre deux rives vertes, par ces lignes de peupliers qui parent de leurs dentelles mobiles ce val d’amour, par les bois de chênes qui s’avancent  entre les vignobles sur des coteaux que la rivière arrondit toujours différemment, et par ces horizons estompés qui fuient en se contrariant… » Balzac – Le Lys dans la vallée


Le Lys comme guide, il faut descendre sur Artannes, l’Indre y bat toujours la roue des moulins.  Tout est pareil, fidèles et poétiques, les bouquets d’arbres, les vieilles barques, les masures, les petits jardins avec leurs haies de chèvrefeuilles, de jasmins et de clématites, harmonie parfaite entre l’écrivain et la terre inspiratrice.

Un peu plus loin,  Pont-de-Ruan.

« …voilà le village de Pont-de-Ruan, joli village surmonté d’une vieille église pleine de caractère, une église du temps des croisades, et comme les peintres en cherchent pour leurs tableaux.  Encadrez le tout de noyers antiques, de jeunes peupliers aux feuilles d’or pâle, mettez de gracieuses fabriques au milieu des prairies où l’œil se perd sous un ciel chaud et vaporeux, vous aurez une idée d’un des mille points de vue de ce beau pays… »  Balzac – Le Lys dans la Vallée


Poussons jusqu’à la barrière du château de Frapesle (Valesne), de là portons le regard vers la rive opposée, au sommet du coteau : Clochegourde (la Chevrière), la demeure de Madame de Mortsauf.  Continuons et suivons le cours de l’Indre, où Balzac conduisit Mme de Berny pour une ultime promenade sentimentale,  pour arriver au château de Saché.

«  …La Touraine m’a rendu quelque santé…Je suis en ce moment dans ma petite chambre de Saché où j’ai tant travaillé.  Je revois les beaux arbres que j’ai tant vus en cherchant mes idées.  Je ne suis pas plus avancé en 1836 qu’en 1829 ; je dois et je travaille toujours…J’ai ici depuis quelques jours, contemplé l’étendue de mon œuvre et ce qui me reste à faire.  C’est énorme.  Aussi, en voyant cette immense fresque, ai-je une grande envie de liquider la Chronique, de renoncer à toute espèce d’ambition politique et de prendre quelques arrangements qui me permettrait de me retirer dans un cottage de Touraine et d’y accomplir paisiblement, sans souci, cette œuvre qui m’aidera à passer la vie…La Touraine est cependant bien belle en ce moment.  Il fait une chaleur excessive qui fait fleurir les vignes.  Ah ! Mon Dieu ! quand aurais-je une petite terre, un petit château, un petit parc, une belle bibliothèque, et pourrais-je habiter cela sans ennuis… » Extrait de correspondance


Voilà, nous avons un tout petit rêvé au cours de cette lecture.  Balzac chérissait sa vallée, elle était pour lui un lieu de repos, de vie et de santé mais aussi un réservoir inépuisable de paysages, de personnages d’une densité et d’une force qui animèrent son œuvre colossale, La Comédie Humaine. Dans cette vallée, rien n’a changé ou presque.  Les beaux soleils d’automne, les rives de la Loire, les vignobles, les façades en tuffeau des maisons, les rues, les vieux quartiers de Tours ou de Saumur,  tous nous transmettent encore les émotions balzaciennes du Lys dans la Vallée, de La Femme de Trente Ans, du Père Goriot ou de L’illustre Gaudissart. 

Allez-y faire un tour, vous ne le regretterez pas.






mercredi 21 mars 2012

La chute d'Icare de Pierre Breughel l'ancien (Bruegel)


« La chute d’Icare » de Pierre Breughel l’ancien est une œuvre qui pose de nombreuses questions. Conçu par ce grand maître flamand, le sujet n’est ni daté, ni signé. Seul sujet mythologique connu de Breughel, la toile apparaît seulement, en 1912. Des défauts d’exécution laissent penser à une œuvre de jeunesse, mais la force du contenu milite en faveur d’une œuvre de maturité.


L’étude de la toile ne fournit aucun indice qui puisse la situer. Les manipulations subies au fil des siècles - déchirée et repeinte en plusieurs endroits - rendent illisibles l’écriture du peintre. Quant aux radiographies, elles ne révèlent rien. Ses qualités artisanales, son parcours inconnu empêchent de déterminer sa place dans la vie de Breughel. Le secret se trouve bien gardé. En l’absence de certitudes, certains historiens doutèrent de l’authenticité du tableau. Et la situation va encore se compliquer. En 1935, une autre version de l’œuvre apparaît. Une composition plus petite, plus conformiste, moins harmonieuse, peinte sur bois, ornée, cette fois-ci, d’une figure de Dédale. Les opinions divergèrent et trouvèrent un nouveau sujet de discussion. On émit l’idée de copies d’un original perdu.

Peu de chefs-d’œuvre éveillent autant d’interrogations. Selon que l’on s’attarde à des éléments précis ou que l’on s’attache au sens de l’image, les opinions varient. Cette chute d’Icare incarne le XVIe siècle flamand où se mêlent les divers courants de l’époque, tant en drames qu’en découvertes.

En ce temps-là, en Flandre, le règne de Charles-Quint s’achevait. L’empereur devait abdiquer en 1555 et laisser le trône à son fils Philippe II. Le siècle avait été glorieux pour le Habsbourg. Charles-Quint dominait François Ier à Pavie, comme il soumettait les princes allemands réformés à Mühlberg. Il devait cependant s’incliner devant Henri II, consentir un peu plus tard, à la paix d’Augsbourg et à la liberté de culte en Allemagne. Luther, Calvin inquiétaient l’Eglise catholique. La compagnie de Jésus, créée en 1536, préparait la contre-Réforme. Les guerres de religions éclaboussaient de sang le monde occidental. Par des placards, l’autorité dans les Pays-Bas imposait des mesures de répressions contre les libertés de conscience et d’expression. Au cardinal de Granvelle, érudit et collectionneur, devait bientôt succéder en 1567, le duc d’Albe et son tribunal du sang.
Cependant le commerce florissait. Jamais Anvers n’avait connu une pareille splendeur. L’avarice, la richesse, le besoin de lucre, illustrés par Breughel n’écartaient cependant pas les disparités sociales. La misère, la famine, les épidémies étaient le lot du plus grand nombre, et si les kermesses battaient leur plein, ce n’était que pour mieux profiter du jour qui passe, dans l’inconnu du lendemain.
Ces problèmes politiques, religieux et sociaux touchaient chacun. Nul n’y échappait. La sensibilité et l’observation aiguë de Breughel se voyaient sollicitées par ces scènes quotidiennes.
Il paraît cependant faux de trouver dans l’œuvre du peintre autre chose que la conscience du temps présent et de la condition humaine.
Ce temps est aussi celui d’Erasme et de Rabelais, mais aussi celui de Vésale et de Mercator. Titien règne sur Venise, Michel-Ange est absorbé par son chantier de Saint-Pierre à Rome et l’école de Fontainebleau connaît son apogée en France. C’est aussi l’âge de la conquête du Pérou, de la chirurgie d’Ambroise Paré, des publications de Copernic et des prédictions de Nostradamus. Ronsard et sa brigade remettent les Antiques à l’honneur.

Les métamorphoses du poète latin Ovide (où figure l’épisode de la chute d’Icare) connurent à la Renaissance un regain d’intérêt. Dédale, habile architecte, après avoir conçu le célèbre labyrinthe fut retenu avec son fils Icare prisonnier en Crête. Pour s’évader, ils avaient, de plumes et de cire, confectionné des ailes. La liberté semblait acquise, mais orgueil ou ivresse, Icare voulut tenter l’impossible, se rapprocher du soleil. Ce fut la chute. La chaleur du soleil fit fondre la cire et la mer engloutit le corps de l’imprudent.

Tobias Verhaecht

Illustrant le sujet, les artistes de l’époque, Hans Bol, Joos de Momper ou Tobias Verhaecht, parmi d’autres, mirent l’accent sur l’anecdote.
Breughel, s’il reprend à Ovide le thème d’Icare, s’il s’inspire de divers détails évoqués dans le récit, le pêcheur, le berger ou le laboureur, il peint une scène bien différente, il peint un paysage avec la chute d’Icare. La nuance est d’importance. L’histoire et le héros mythologique ne sont plus qu’un détail chez Breughel. Les éléments qu’évoquent Ovide sont interprétés, adaptés, redistribués. Breughel ne retient de l’épisode de la chute que le drame consommé : Icare ne tombe pas, il est tombé. Un homme se noie. Dans un coin du tableau, deux jambes s’agitent dans un dernier soubresaut. Par contre, les personnages du tableau - des petites gens, des anonymes - sont mis en évidence. Ils ne font plus de la figuration, comme chez Ovide, ils sont devenus acteurs. Breughel les met en scène. Chacun joue son rôle. Cette nouvelle répartition des fonctions renforce l’énigme de l’œuvre.
Quel est le sens exact de la chute d’Icare selon Breughel ? Pourquoi l’absence de Dédale ? Et tout à fait surprenante cette place du soleil.

A première vue le tableau est du genre rustique, une scène campagnarde, un laboureur, un cheval et une charrue tracent le sillon. Autour, immuable, le monde concerné uniquement par les lois de la nature et les occupations quotidiennes des hommes. L’échec de celui qui se voulait l’égal d’un dieu ou d’un oiseau, qui voulait échapper à sa condition, passe ici presque inaperçu.


La symbolique du tableau ? S’agit-il d’une morale selon laquelle toute entreprise humaine ne trouble pas l’ordre des choses ? S’agit-il d’une leçon d’optimisme devant la permanence de la nature ou d’une vision pessimiste qui voudrait que tout effort fût vain ? Faut-il y voir un message humaniste sur l’homme et de son destin ou l’illustration d’un monde renversé et de la folie humaine ? Une pensée moralisante ? - Questions sans réponses - Séduisante, une lecture ésotérique de ce paysage apparaît aussi quant on sait que Breughel a laissé une gravure évoquant l’Alchimiste. Nul doute que l’on peut encore donner une interprétation psychanalytique à l’œuvre : Icare image de la révolte contre le père.

Riche en découvertes et en échos nombreux, ceux-ci ne se taisent pas lorsqu’on parcourt l’œuvre. L’esprit breughelien reste ouvert aux divers aspects de la vie, à la moralité dans les proverbes, à la réalité dans les scènes rustiques, au fantastique dans le rêve, au symbolique dans l’exemple. Tout dans l’oeuvre s’entremêle et interpelle. L’image réaliste du paysan qui guide sa charrue, évoque le proverbe germanique selon lequel aucune charrue ne s’arrête pas pour un homme qui meurt. Bien placé en évidence, un coutelas et une bourse. Quoi de plus banal que ces objets appartenant sans doute au paysan et déposés là pour qu’ils ne l’encombrent pas pendant son travail. Objets présents, existants par eux-mêmes, ayant leur identité propre, mais qui ont peut-être aussi un sens imagé. Il en est de même du sac posé contre le rocher. Tous ces éléments peuvent alors, selon l’interprétation choisie, se retourner contre Icare et sa folle ambition. Et si la charrue évite la mort, il y a écho dans le bateau qui évite l’écueil. Tout se rejoint, tout reste lié. Tout se continue dans le déroulement du caractère cyclique de la nature, auquel l’homme, par son action, participe et qu’il convertit à son rythme. Cette notion est d’autant plus importante ici, qu’Icare est accidentel. Les acteurs principaux ne sont pas saisis par l’instantané de l’événement.


Breughel fut quelquefois surnommé le Breughel des paysans. Sa connaissance profonde de leur existence, il la traduit par des croquis pris sur le vif. Les scènes de la vie rurale, qui animent le Dénombrement de Bethléem, La pie sur le gibet, ou encore le sujet même de certains de ses tableaux, scènes de kermesse ou danse de la mariée, lui valent bien ce titre.
Le laboureur, quoique désaxé, est ici la première étape du regard. Figure puissante aux formes simplifiées, le dos large, les plis de la tunique accentuant sa massivité, les pieds lourds faits pour marcher et non pour se mouvoir dans les airs. Le berger se trouve au centre géométrique du tableau, il est peut-être intéressant que, par son symbolisme même, il soit le centre du tableau. Le sujet – Icare – étant, lui, excentrique. Hors du champ, hors des lois des choses, téméraire en son destin, celui-ci s’exclut. Tandis que l’image du bon pasteur est confiante puisqu’il tient groupé autour de lui son troupeau qui paît tranquillement. Le berger regarde vers le ciel. Qu’y voit-il ? Icare est tombé loin derrière lui et Dédale sans doute est passé depuis longtemps. Alors rêve-t-il ou médite-t-il ? Par un chemin difficile, on pénètre dans la partie droite de l’œuvre, celle du fantastique, du mouvement et de l’instant. Derrière le laboureur, peut-être le symbole d’une existence courte dominée par l’ambition, un arbuste sec lance en tout sens des ramures désordonnées. L’agitation de ses branches mortes annonce celle des jambes d’Icare battant les flots. Icare ne trouble en rien l’attention du pêcheur, quoique situé dans le prolongement du geste de ce dernier. Mais sur l’arbuste mort, perché sur une branche, l’œil rond, une perdrix observe le spectateur, seul témoin du drame. Perdrix dont Ovide nous conte l’histoire. Dédale avait été chargé d’instruire son neveu Talos, inventeur du compas et de la scie, et, jaloux des dons précoces de l’enfant, l’avait précipité du haut d’une citadelle sacrée. Pallas Athéna, pour lui éviter l’issue fatale, le changea en perdrix au cours de sa chute. Pour Dédale, cet oiseau devient dès ce moment l’image du remord. Lorsqu’Icare, victime à son tour d’une chute, fut enseveli par son père, la perdrix vint crier sa joie et battre des ailes.


A l’horizon, note poétique, le soleil saisit le regard. Descendu sur l’horizon, il miroite sur l’eau, éclaire le monde et embrase le ciel. Le soleil qui fait vivre les hommes et punit les imprudents est le terme du voyage dans l’œuvre. Mais déjà de nouvelles questions : le soleil se doit d’être au zénith, à cause d’Icare. Certains avancent que le tableau repeint expliquerait sa position ainsi que l’absence de Dédale. D’autres y voient un soleil levant ou un soleil couchant. Cette dernière opinion semble la mieux accordée à l’esprit de l’œuvre. Pour tomber des hauteurs – instant sublime d’ivresse - où le téméraire s’était aventuré et le moment ultime de sa chute, il a fallu à Icare le temps qu’il faut au soleil pour descendre du zénith.


Beaucoup de choses restent encore à dire.
Le Paysage avec la chute d’Icare laisse deviner un univers où se conjuguent les forces de la nature et les efforts des hommes. L’oeuvre résume la vie et s’ouvre sur le rêve. Chacun, comme en chaque chose, y trouve un écho, un prolongement qui lui est propre. Comme tout chef-d’œuvre, il demeure inexpliqué. Il vit simplement selon l’humeur.
« …dans ce tableau, de quel côté se trouve Breughel ? Est-il avec Icare, martyr de son rêve, ou avec le laboureur si calme, si prospère, si fortement carré…sur cette terre à laquelle il adhère de tout son être ? Entre ces individus dont pas un seul ne regarde le merveilleux coucher de soleil dans un paysage de féerie, tant chacun est absorbé par sa besogne terre-à-terre, et Icare qui meurt d’avoir trop regardé le soleil, de s’en être rapproché trop près, Breughel n’avait pas à choisir. Il savait le danger qu’il n’y a à ne connaître que la terre et le danger de perdre le contact avec elle, de la fuir dans une évasion impossible…Sans doute, la solution qu’il nous conseille est-elle de contempler la beauté du monde dans sa réalité… » Marcel Brion


dimanche 11 mars 2012

Marie de Médicis à Compiègne


La journée des dupes, après avoir frappé la cour de stupeur et un moment désorganisé le parti des mécontents, parut bientôt éphémère dans ses résultats ; les appétits restaient en éveil. Abritée derrière la reine mère, Marie de Médicis, une bande d’ambitieux affamés s’agitait. De nouvelles conspirations avec l’étranger se nouaient.
Louis XIII, qui tout jeune s’était saisi de sa couronne, n’entendait pas l’abandonner. Il ne pouvait permettre que s’épanouit plus longtemps l’audace des conjurés. Pour cela, il pouvait compter sur son ministre, le cardinal de Richelieu. Cependant l’énergie qu’exigeait la répression lui imposaient à l’égard de sa mère des ménagements particuliers.

Pour la séparer de ceux qu’il voulait frapper, il essaya d’abord de l’attirer à lui. Une démarche fut tentée pour la faire entrer dans le Conseil royal. Marie, par crainte d’être mêlée à la répression contre ses partisans, refusa. Elle devint dès lors une menace pour le trône de son fils, servant, malgré elle, d’emblème aux comploteurs et aux ennemis de l’extérieur.

Les arrestations faites au lendemain de la journée des dupes n’avaient pas suffi, la répression devait désormais viser plus haut. Les événements se précipitaient, elle se devait d’être rapide.

Le 30 janvier 1631, en l’absence de Louis XIII, Monsieur, frère du roi, bien accompagné, se rend chez Richelieu. La main appuyée sur la poignée de l’épée, le duc d’Orléans, menaçant, dénonce l’amitié jurée, sa soumission qui passe aux yeux de tous pour une lâcheté et le traitement injuste que l’on fait à sa mère. Après cette bravade, le duc, prudent, quitte la cour sans prendre congé du roi, comme l’usage le commande. Monsieur, monte en carrosse et gagne Orléans.

Louis XIII, prévenu par le cardinal de la provocation, revient en toute hâte à Paris. Un gentilhomme de la maison de Monsieur, resté au Louvre, présente les excuses de son maître. Monsieur est parti pour ne plus souffrir les violences que le cardinal faisait contre sa mère.

De ces assurances et de ces accusations, le roi n’est pas dupe. Gaston au loin, il le déclare à sa mère.
Quelques jours plus tard, Louis annonce qu’il passera le carême à Compiègne. Anne d’Autriche, son épouse, et la reine mère l’accompagneront. Les deux reines arrivent le 16 février. Elles précèdent le roi.

La dangereuse alliance des ennemis de l’Etat avec l’étranger, le crédit que leur donne la personne de la reine mère, la persistance de la reine mère à rester dans sa haine contre le cardinal - Marie est d’un pays et d’une famille où l’on pardonne peu à l’offense faite - En réaction, Richelieu propose au roi de se séparer de la reine mère. Le roi l’abandonnera, imitant ainsi le même procédé de Monsieur envers lui. Après avoir tenté une ultime démarche auprès de sa mère, Louis approuve l’idée de son ministre.
La conciliation est devenue illusoire et la rigueur inévitable. Des dispositions sont prises, les ordres sont donnés. Le 23, au petit matin, tout le monde dort encore, le roi quitte Compiègne, abandonnant le château aux deux reines. La charge de faire exécuter ses décisions est confiée au maréchal d’Estrées. Comme Louis craint un coup de force tenté en faveur de la reine mère, comme jadis aux Ponts de Cé, il a laissé à Compiègne de nombreuses troupes. Les instructions que le maréchal a reçues précisent que Marie de Médicis ne peut quitter Compiègne sans l’autorisation royale. Quant à la reine de France, Anne d’Autriche, elle sera conduite immédiatement à Paris.

A Paris, on ne chôme pas, le roi écarte les intrigants et les conseillers de la reine mère les plus dangereux. Déjà le 13 janvier, Mesdames du Fargis et de Lavaur avaient été priées de quitter la cour. Le médecin de Marie, Vautier, emprisonné. La princesse de Conti, fille d’Henri de Guise, l’exécuté de Blois, exilée. Les duchesses d’Onano et d’Elbeuf, le connétable de Lesdiguières, éloignés. Le maréchal de Bassompierre et l’abbé de Foix, embastillés. D’autres s’échappent ou rejoignent Monsieur à Orléans.


A Compiègne, le réveil de la reine mère a un goût étrange. Le château se révèle vidé de ses hôtes. Elle reste seule dans la grande demeure royale. Ce grand palais déserté lui inspire une très vive inquiétude. Inquiète par l’approche de sanctions inconnues, pensées par Richelieu, dont elle soupçonne, malgré tout, la gravité, elle se fait humble et douce. Elle essaye, s’il en est encore temps, d’y échapper. Le jour même, elle adresse au roi, une lettre. Un appel pathétique, elle réclame justice et accuse Richelieu d’être le responsable de toutes les calomnies contre elle. Au même moment, pour se prémunir des rumeurs, le roi fait publier un texte destiné à tous les parlements, aux gouverneurs des provinces et aux villes détaillant les raisons de la mise en sûreté de la reine mère.

« …Et parce qu’on avoit aigry la Royne, nostre tres-honorée Dame & Mere, contre nostre tres-cher & bien amé Cousin le Cardinal de Richelieu ; Il n’y à instance que nous n’ayons faite, priere, ny supplication que nous n’ayons employée, ny consideration publique & particuliere que nous n’ayons mise en avant pour addoucir son esprit…Pour cette raison estant apres une longue patience venu en cette ville de Compiègne, afin que la Royne bien intentionnée de soy-mesme, elloignée par ce moyen de beaucoup de mauvais esprits, conspirast plus facilemet aux moyens iustes & raisonnables, pour arrester le cours des factions qui se formoient en nostre Estat… »
Lettre du roy, envoyee à Messieurs les Prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris, le XXIII février 1631 (extraits)

Le lendemain, le 24, monsieur de la Ville aux Clercs, secrétaire d’état, communique à Marie les ordres de Louis. Le roi prie sa mère de gagner immédiatement Moulins et d’y rester. Elle y aura le gouvernement du Bourbonnais qu’elle a toujours souhaité. Elle est libre d’accepter ou de refuser la proposition. La réponse de Marie est très réservée. Elle remercie le roi, et mène encore une charge contre le cardinal.

A partir de ce moment, une lutte longue et tenace commence. Marie conserve encore autour d’elle, quelques proches. Parmi ceux-ci, le père Suffren, qui est resté près d’elle à la demande du roi et son secrétaire, Cottignon. A l’insu de la reine mère, Cottignon, sentant le vent tourner, offre ses services au roi, c’est-à-dire à Richelieu.

Suffren et Cottignon deviennent les agents du maréchal d’Estrées. On va les utiliser, ils renseigneront. On leur demandera de sonder les intentions de Marie et de l’influencer dans ses décisions.

Marie trouve de nombreux prétextes pour éviter l’exil. Le roi cède sur tout, sauf sur Moulins.
Compiègne est trop près de la frontière, un accord des mécontents avec l’ennemi espagnol rendrait la position de la France difficile. Il faut absolument éloigner la reine mère.

A tous, Marie se plaint d’être prisonnière de son fils.  Le duc d’Orléans et les siens, avec joie, relayent les cris de la reine mère.
Mais la réalité est autre. Si Marie ne peut quitter Compiègne, elle reçoit cependant qui elle veut et sort quand elle veut. Mais la police surveille, lorsqu’elle monte en carrosse, averti, le maréchal se présente suivit d’un capitaine des gardes et de quelques gentilshommes en réclamant l’honneur de l’accompagner.

Marie retarde son départ au 20 mars, le roi s’impatiente. Pour la presser, il envoie de nouvelles troupes à Compiègne. Fini l’indulgence. Si elle persiste à ne pas vouloir quitter le château, la surveillance se fera plus rigoureuse. S’il le faut, on l’isolera complètement de l’extérieur. L’effet de cette menace est absolument nul, Marie multiplie les embarras pour ne pas s’en aller.

Les soldats sont partout, au grand désespoir financier des habitants de Compiègne. Entretenir les troupes, réparer leurs dégâts, cela coûte. Nul ne peut sortir de la ville sans un billet du maréchal, les hôteliers doivent communiquer les noms des voyageurs. Des soldats gardent la terrasse du château.

Dans la demeure, rien de nouveau, Marie conduit toujours les mêmes discussions stériles.

A présent, la reine mère, fait la grève ; elle ne sort plus du tout du château ; elle envoie, à sa place, ses filles se promener. Le roi lui interdit la visite de l’ambassadeur d’Espagne, mais autorise celle du représentant de Florence.

Une atmosphère de complots enveloppe la cité dans laquelle rôdent de nombreux espions.

Marie est inquiète, le cardinal la persécute. Elle connaît bien Richelieu. C’est elle qui l’a introduit à la cour, comme on introduit un loup dans la bergerie. Aujourd’hui, la reine mère s’en mord les doigts. Ce départ pour Moulins la préoccupe. Sous prétexte de la conduire dans cette ville, on veut l’embarquer sur un bateau qui du Rhône la conduira à Florence. L’objectif du cardinal est de la renvoyer en Italie, loin de la France et de la cour. Une fois monté en carrosse on pourra la mener où l’on voudra. Voilà la pensée de la reine mère. On lui propose alors Angers, c’est une diversion. Déjà elle se sent emprisonnée plus étroitement.

La pression augmente, de nouvelles troupes arrivent. Gaston s’agite, appelle les Lorrains à son aide, activités vaines quand on connaît l’homme.
Nous sommes le 22 mai, Marie n’a toujours pas quitté Compiègne. Le roi attend, malgré les nombreuses plaintes de sa mère, il ne cède pas : elle doit se rendre à Moulins.

A Compiègne, la situation des gardiens est pénible, le service n’est pas des plus facile, Marie complique tout à plaisir. Cottignon et Suffren sont dans une demi-disgrâce. Ils n’ont pas réussi dans leur mission. Les soldats indifférents et indisciplinés, laissent passer tout le monde. Les hommes du roi sont découragés. Le maréchal, lui-même, demande avec insistance son rappel.
La Médicis joue avec ses nerfs. Tout lui est bon pour rendre la vie du maréchal impossible. Elle tient absolument à se purger avant de partir, et, pour cela il lui faut son médecin. Or, celui-ci se trouve emprisonné. Cette affaire occupe pendant plusieurs semaines toutes les conversations entre le maréchal, Cottignon, le père Suffren, et, les correspondances avec le roi. La reine veut se purger ! la reine ne s’est pas purgée ! la reine se purgera ! la reine ne se purge toujours pas ! La reine veut son médecin. L’arrestation de Vautier met la vie de ta mère en péril écrit-elle à Louis.
Et la reine ne part toujours pas !

Subitement, le 1er juin, éclate au milieu de cette lassitude générale un coup de théâtre. Le roi demande de faire sortir immédiatement de Compiègne toutes les troupes. Le roi autorise le départ du maréchal. La raison apparente est le refus de Marie de partir tant qu’elle sera entourée de soldats. Cependant la lettre du roi au maréchal est d’une autre portée. Après avoir rappelé les efforts inutiles de ses ambassadeurs pour convaincre la reine mère de suivre ses désirs, le roi ajoute : « lesquels sont maintenant tout autres … ».

Toutes ces discussions stériles et oiseuses ont fatigué le souverain. Cette fois il a décidé d’abandonner réellement sa mère. Il ne lui adressera plus aucune lettre. Elle fera comme bon lui semblera. De toute manière la police de Richelieu veille, ses amis sont épiés, ses lettres lues, ses projets percés à jour. Le roi sait tout ce qui se dit ou se fait dans les appartements de sa mère.

Le 9 juillet, toujours à Compiègne, Marie apprend que Gaston a fait appel au parlement contre le roi. Elle tente par une supplique similaire de renforcer l’action de son second fils.

Si la reine mère ne veut pas quitter Compiègne, se dit le cardinal, c’est qu’elle a des projets. Du reste le ministre sait que Marie est engagée avec Monsieur et les Espagnols.

Les événements vont se précipiter maintenant.

Depuis quelques temps, au nord de Compiègne, dans le village de Sains, devant l’auberge de l’Etrille, trois carrosses tout attelés font halte chaque soir. Le 15 juillet, à trois heures du matin, un chariot quitte Compiègne. La veille, six hommes ont chargé un coffre immense sur le véhicule qui se dirige à présent vers les Pays-Bas. Bavards, les deux conducteurs racontent à qui veut l’entendre qu’ils transportent les bagages de la reine mère. Le même jour, à l’auberge de l’Etrille, un cuisinier prépare un repas, qu’il annonce à tout venant être celui de la reine mère.
Pas difficile dans ces conditions, pour les espions du cardinal, de prévoir ce qui va se passer.

Le 18 juillet, vers dix heures du soir, lorsqu’elle croit la nuit suffisamment obscure pour qu’on ne la reconnaisse pas, Marie quitte le château. Elle se dirige à pied, vers les remparts et la porte Chapelle. Au bras d’un gentilhomme, La Mazure, elle s’engage sur la route de Soissons. Personne n’a envie de s’opposer à son projet. A distance, Massé, lieutenant de ses gardes, la suit. Quelques centaines de pas plus loin, un cavalier vêtu de sombre et un autre homme à pied, se joignent au petit groupe. Marcel Hébert, concierge de la porte Chapelle regarde tout ce monde s’éloigner. D’une parole sonore, il interpelle ces gens ; il avertit qu’il va fermer. Une voix lui répond d’en faire à sa guise - Nous ne rentreront plus dans la ville.

Au tournant de la route de Choisy attend un carrosse attelé de six chevaux bais. C’est celui de madame du Fresnoy. Afin de ne pas attirer l’attention, celle-ci est sortie de Compiègne par une autre porte, celle de Pierrefonds. La Mazure fait aussitôt monter la reine dans son carrosse. Cinq ou six cavaliers entourent à présent la voiture. L’un des cavaliers, le visage à demi-caché dans son manteau brun, entraîne le cortège au grand trot vers Choisy.
Sur la route, au loin, on aperçoit deux chevaux attachés au bord de l’eau et leurs maîtres, probablement des gardes de la reine mère. Le convoi doit traverser la rivière et ils surveillent le bac. On a bien fait de s’y prendre d’avance, car le passeur vient de décéder. Un nommé Laurent Robiquet le remplace. Il servira de guide. Il passe le carrosse avec ses six chevaux, les dames, les cavaliers, les montures, et prend ensuite la tête du convoi. Sur la rive, trois hommes armés de pistolets sont restés. Ils enchaînent et cadenassent le bateau. Ils demeureront là jusqu’au lendemain 10 heures. Ils doivent empêcher tout passage et protéger la fuite de Marie.

Le carrosse avec son escorte a franchi le Mont des Singes dans la forêt de Laigue, longé le parc d’Offémont, traversé Tracy et Chauny, passé à quatre heures du matin à Blérancourt et atteint vers huit heures, le village de Rouy. On passe ensuite à Pont-sur-Serre et à Sains.

Ce village est le quartier général des conjurés. On y retrouve sept ou huit gentilshommes et les trois carrosses. Le jeune de Vardes, acquis à la reine mère, a envoyé un messager porteur de nouvelles inquiétantes.


Le but de Marie est de s’enfermer dans la Capelle-en-Thiérache et d’y appeler les Espagnols.
Cependant les conjurés ont compté sans Richelieu. Le cardinal n’a rien ignoré de leur complot. Il a pris ses dispositions.
Le retrait des troupes de Compiègne n’avait qu’un but : ne pas entraver le suicide politique de Marie. Habile cardinal !

Prévenu par Richelieu, le vieux marquis de Vardes, fidèle au roi, a repris la place forte de Capelle-en-Thiérache à son fils qui en était le commandant. Il a chassé tous ceux qui lui semblaient suspects et levé les ponts. C’est alors que les expulsés envoient un cavalier à Sains, pour avertir Marie de changer ses plans. L’émotion de la fugitive est extrême. Si elle renonce à son projet, l’humiliation l’attend et un transport forcé vers quelque place forte bien murée et si elle persiste à gagner La Capelle, sa liberté sera encore plus vite perdue.

Malheureuse équipée entraînée vers le pire.

Alors, elle dîne rapidement dans son carrosse, puis reprend la route. La reine mère a décidé. Elle ne retournera pas à Compiègne, n’ira pas à Capelle, elle gagnera Bruxelles. Le convoi se dirige à présent vers Sorbais. La reine mère veut coucher à Estrun de l’autre côté de la frontière.
Le lendemain, dimanche 20 juillet, vers quatre heures de l’après-midi, la fugitive fait dans Avesnes une entrée triomphale, sans même s’apercevoir que ce triomphe est celui de son ennemi.
En se retirant auprès de l’ennemi, elle se condamne aux yeux des bons Français et agit contre le sentiment de la nature envers son fils écrit Richelieu.

Sa sortie de France vient de la perdre, de la découronner. La reine mère ne constituera même plus un instrument utile aux mains des Espagnols.

Lire la suite : 

Marie de Médicis et Gaston d'Orléans à Bruxelles