bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

mardi 29 novembre 2011

Poggio, un humaniste facétieux du XVe siècle

Une fois n’est pas coutume.  Je commence ce billet par un texte un peu léger.  Un peu léger, c’est encore à voir. Mais il va sûrement plaire au lecteur.  Notre esprit, préoccupé par nos soucis quotidiens, a parfois besoin de se détendre. Le texte qui suit est extrait des « Facéties » de Poggio, personnage dont il sera question par après. Il ne faut pas perdre les bonnes habitudes.  


Les braies de Saint-François

« Une femme, poussée, comme je le pense, par le désir de bien faire, se confessait à un religieux mineur.  Celui-ci, tout en parlant, s’enflamma de concupiscence, et ayant à force de paroles finit par amener la femme à faire sa volonté.  Ils cherchaient les moyens à faire la chose.  Il fut convenu que madame feignant d’être malade, ferait appeler le frère en qualité de confesseur, car on a l’habitude de laisser seuls cette sorte de personnages, pour qu’ils aient toute faculté de parler des intérêts spirituels du patient alité.  La dame se met donc au lit, simule une violents douleur, puis fait appeler le frère qui s’empresse et reçoit caresses et baisers sans témoin.  Quelqu’un étant survenu, il part en remettant la fin de la confession au lendemain.  Tandis qu’il est à son poste, le mari trouve la confession un peu longue et entre dans la chambre à coucher.  Le frère se sauve, mais en oubliant ses braies.  A cette vue, le mari s’écrie que ce n’est pas un frère, mais un adultère.  Toute la maison, à la vue des braies, fait chorus avec lui.  Il va trouver sans retard le supérieur du couvent, se plaint et menace le coupable de mort.  Le supérieur qui était un vieillard, apaise sa colère en lui faisant remarquer qu’il s’exclame à sa honte et à celle de sa famille, qu’il faut du silence et du secret.  Le mari réplique que l’aventure n’est plus à cacher, mais le vieillard annonce un remède : il assurera que les braies en question sont celles de Saint-François, que le frère avait emportées pour sauver madame, de plus le frère viendra les chercher pour les reporter processionnellement.  Le dessein est approuvé.  Le supérieur convoque les frères, précédé de la croix, se rend en habits sacerdotaux à la maison du mari. Il saisit dévotement les braies, les porte à bras tendus sous un dais de soie, comme de saintes reliques.  Il les présente à baiser au mari, à la femme, à tous le monde, et les place dans le trésor du couvent avec cérémonie et au son des hymnes sacrées. »

Poggio Bracciolini

« …Poggio, Voltaire florentin, implacable railleur, bouffon plein de science, de politique, de génie, secrétaire à la fois de trois papes et du Bugiale…  ne s’attaque pas seulement aux ridicules du peuple : sa moquerie atteint à la fois le noble et le bourgeois, le tyran et l’esclave, le prêtre et le philosophe»
Taine.

Poggio Bracciolini, que l’on a coutume d’appeler Pogge, voit le jour en 1380, au château de Terranuova, près d’Arezzo.  Ses aïeux exerçaient la fonction de greffier à Lanciuolina, près de Terranuova.
Poggio avait un frère qui ne devait pas faire pas chose, car il s’en plaint comme d’un paresseux qui est à sa charge. Il eut une sœur, Catarina. 

A dix-huit ans, Poggio se rend à Florence.  Giovanni Malpaghino, plus connu sous le nom de Jean de Ravenne, lui donne ses premiers éléments littéraires.  Depuis la mort de son ami Pétrarque,  Jean de Ravenne, donnait des leçons publiques de littérature à Florence.
Poggio se tourne ensuite vers l’étude des textes grecques et choisit pour maître, un noble de Constantinople, Emmanuel Chrysoloras.
Il ne néglige pas non plus l’étude de l’hébreu.

De Florence, Poggio va à Rome.  En 1402, sous le pontificat de Boniface IX, il devient scripteur des lettres pontificales. On donne ce nom, dans la chancellerie romaine, aux officiers qui dressent les bulles et autres écrits.  Sous Innocent VII, notre homme trouve la même faveur.  Sous Grégoire XII, Poggio prend quelques vacances à Florence.  Sous Alexandre V, il reprend ses fonctions.  Il devient, en 1412, le secrétaire du pape Jean XXIII.

Au concile de Constance, la déposition de ce pape laisse quelques loisirs aux employés de la chancellerie.  Poggio et quelques collègues se rendent au monastère de Saint-Gall, attirés par la renommée de sa bibliothèque.  L’abbé Henri de Gundelfingen les accueille avec bienveillance. Il leur ouvre la bibliothèque et une tour dans laquelle les moines avaient transporté, pour les protéger, un grand nombre de livres rares.
Les compères y découvrent des trésors de littératures antiques.  Grâce à l’abbé, ils emportent de nombreux ouvrages précieux.  Ils n’ont pas été de main morte.  Deux chariots remplis de livres de très grandes valeurs prennent la route de Constance. 

A Saint-Gall, on maudit toujours Poggio et ses amis pour avoir emporté tant de richesses et l’inconscient abbé pour avoir été beaucoup trop généreux avec ces étrangers.

A Constance, Poggio est témoin du procès et du supplice de Jérôme de Prague.  Il écrit alors cette célèbre lettre sur ce martyr « …qui offrit l’exemple d’une mort telle qu’on n’en vit jamais de plus philosophique… »

Martin V

Jean XXIII déposé, Poggio quitte Constance à la suite de Martin V.  Toujours avide de livres, il part pour l’Angleterre.  Il ne trouve pas de livres dans ce pays,  Il y trouve, écrit-il, des gens livrés à une grossière sensualité, très peu amis des lettres et encore à moitié barbares.

Après un séjour à Paris, il revient à Rome, à la fin de 1420 et devient l’un des secrétaires de Martin V.  Ce pape décède pendant le procès de Jeanne d’Arc.  Eugène IV le remplace.  Le pontificat de celui-là n’est pas des plus tranquilles.  Ce pape violent doit s’enfuir de Rome, déguisé en moine.  Il trouve refuge à Florence.  Poggio partit pour le rejoindre, tombe entre les mains des partisans du duc de Milan.  Une forte rançon est versée pour obtenir sa liberté. 

A Florence, il trouve les Medicis abattus.  Leurs partisans dispersés. Cosme, ami de Poggio, banni de la république.  Le libelliste, Filelfo ne se prive pas d’injurier quotidiennement les Medicis et leurs partisans.  Tant que Cosme reste proscrit, Poggio se tait.  Mais lorsque le peuple florentin rappelle Cosme, Poggio se venge de Filelfo.  Pour se venger et venger son ami Cosme de l’impudent, il écrit trois terribles invectives.

« le sang des dieux et un père consacré par la religion, voilà ce qui te rend si fier et si insolent.  Oui, fils d’un prêtre de quelques bourgade du Tolentin et d’une mère si pieuse qu’elle fit sacrifice de son corps à ce prêtre, tu t’enorgueillis de ta divine origine…. »

Cosme de Medicis

Le calme revenu, Poggio exprime le désir de passer le reste de son existence en Toscane.  A la campagne, il achète une petite maison.  Il la rend précieuse, pour ses amis, par une riche bibliothèque et par une belle collection de statues dont il orne son jardin.
De ses années romaines, il a fait un état détaillé des antiquités de cette ville.  Les érudits  regardent comme un bonheur de l’avoir pour guide de l’ancienne Rome.   Curieux, Poggio étend ses recherches dans les environs de l’ancienne capitale du monde.
Sa passion pour l’antiquité, le conduit encore plus loin.  Il demande aux voyageurs qui se rendent en Grèce de lui rapporter des ouvrages sur la statuaire antique de ce pays.
Il demande a un nommé Suffretus, habitant Rhodes, célèbre pour sa collection d’anciens marbres de lui envoyer un ou plusieurs morceau de sculpture.  Ce qu’il fait.  Par une noble libéralité, il fait parvenir à Poggio, trois bustes en marbre attribués à Polyclète et à Praxitèle.

En hommage à son amour pour les belles lettres et pour l’art, le pouvoir de son pays déclare par un acte officiel qu’il est désormais affranchi, ainsi que sa descendance, de tous impôts et taxes.

Bien qu’il n’est pas marié, qu’il porte l’habit ecclésiastique, il a des enfants.  A cinquante-cinq ans, il épouse une jeune fille de dix-huit ans.  On raconte qu’il délibéra quelque temps sur les inconvénients de cette différence d’âge.  Il composa, à ce sujet, un traité dans lequel il pesait le pour et le contre.  Son mariage prouva que le pour l’emporta.

Retiré dans maison, loin des orages politiques, il y passe paisiblement de longues années, uniquement occupé d’études et de travaux littéraires.  Ses meilleurs ouvrages datent de cette époque.
L’âge avançant, ses protecteurs et ses amis, disparaissent les uns après les autres.  Il rend hommage à leur souvenir par de belles oraisons funèbres.

Eugène IV

Vieil ami de Poggio, Nicolas V remplaça sur le trône de Saint-Pierre Eugène IV décédé en 1447.  vieux courtisan, notre homme lui adresse des félicitations.  Connaissant la plume satirique de Poggio, le nouveau pontife le charge d’écrire contre Amédée de Savoie, qui, sous le titre de Félix V, persiste de se dire pape.  Il remplit largement les intentions de Nicolas V.
Mais Poggio est encore plus utile au pape en traduisant du grec en latin, Diodore de Sicile et la Cyropédie de Xénophon.


Rome


En 1450, la peste désole l’Italie.  L’affluence des pèlerins venus pour le jubilé concentre dans Rome le foyer de l’épidémie, ce qui oblige le pape, dès qu’il a terminé les solennités d’ouverture, à se retirer à Fabriano, dans la région d’Ancône.
Poggio profite du changement de résidence du saint-père pour visiter le lieu de sa naissance.  C’est alors, en des circonstances analogues à celles où naquit Le Décaméron, qu’il écrit ses facéties ou contes.  La préface et la conclusion en font connaître le but et l’origine.  Par beaucoup, ce recueil est vivement blâmé et jugé digne d’être jeté au feu.  D’autres pensent que les facéties, obscènes, ont été à tort attribuées à Poggio.  Quoiqu’il en soit « Ce seul ouvrage, dit Sallengre, a plus contribué à faire connaître le Pogge que tout ce qu’il a écrit d’ailleurs.  Il fut le premier qui publia quelque chose dans ce goût-là, et il a été suivi d’une infinité d’autres qui souvent ont pillé ses contes sans lui en faire honneur… »
« …cet ouvrage, dit encore Shepherd, doit une partie  de son succès aux curieuses particularités qu’il renferme sur différents personnages des XIVe et XVe siècles, à une foule d’observations piquantes et singulières que quelques beaux esprits modernes se sont souvent attribuées. »
« Les hommes marquants de cet âge, écrit encore Taine, sont les humanistes, restaurateurs passionnés des belles-lettres grecques et latines…ils fouillent les bibliothèques de l’Europe pour découvrir et publier les manuscrits ; non seulement ils les déchiffrent et les étudient, mais ils s’en inspirent, ils se font anciens d’esprit et de cœur, ils écrivent en latin presque aussi purement que les contemporains de Cicéron et de Virgile.  Le style devient tout d’un coup exquis et l’esprit tout d’un coup adulte….le langage est devenu noble en même temps qu’il est devenu clair… »

Florence

En 1453, la place de chancelier de la république est vacante, on choisit Poggio.  Il quitte Rome et vient s’établir à Florence avec sa famille.  On le nomme prieur des Arts.  Il entreprend d’écrire une histoire de Florence, mais ne la termine pas.  Il meurt le 30 octobre 1459. 

les Florentins lui érigèrent une statue qui fut placée sur la façade de l’église de Santa-Maria del fiore. 

De la Mitre

On demanda un jour à ce même religieux ce que signifiaient les deux pointes qui sont aux mitres des évêques.  «  L’une, dit-il, signifie l’Ancien et l’autre le Nouveau Testament, que les évêques doivent savoir par cœur. – mais que signifient les deux cordons qui pendent à la mitre derrière le dos ? – Cela veut dire que les évêques ne savent ni l’Ancien ni le Nouveau Testament. »

 Poggio – Les Facéties.

    
Poggio

mardi 15 novembre 2011

Un chroniqueur du XVe siècle, Georges Chastellain

Il est des chroniqueurs célèbres, d’autres moins, parmi ceux-ci : Georges Chastellain. Auteur d’une œuvre remarquable, Georges Chastellain mérite que l’on porte un moment notre regard sur lui.

Ce fut aux dernières lueurs de cet éclat si vif jeté par la dernière maison de Bourgogne qu’écrivit Georges Chastellain.  Conseiller de Philippe le Bon, admis dans l’intimité des « grands », il entreprit vers la fin de sa vie, d’écrire l’histoire de son temps.  
Il devait à ses lumières et à son expérience, le crédit dont il jouissait auprès de Philippe le Bon.  Ce prince le consultait sur des questions importantes, lui racontait ses batailles et plus tard, lui fit part de ses plaintes contre l’ingratitude de Louis XI. 
 
Peu de chroniqueurs furent mieux informés que lui.  Il recueillit les confidences des principaux personnages qui firent l’histoire de son temps.  Chastellain fut lui-même témoin d’un grand nombre d’événements.  Les représentants des nations étrangères n’avaient pas de secrets pour lui.  Il recevait des nouvelles de Gênes, savait ce qui se passait en Allemagne et en Angleterre.  Toutes ces opportunités lui permirent d’écrire une œuvre de toute première main, témoignage incontournable sur l’histoire du XVe siècle.

La cour de Bourgogne sous Philippe le Bon était alors le centre de toutes les élégances.  Mais cette splendeur n’avait plus, que peu de jours à briller.  Les événements devaient entraîner cette dynastie à la ruine.  Avec Charles le Téméraire s’éteignit jusqu’au nom de la Bourgogne, qui passa avec sa fille Marie, sous l’autorité de la maison d’Autriche.  Chastellain et son œuvre subirent le sort des provinces conquises, ils s’effacèrent en même temps qu’elles.  Les Autrichiens, puis les Espagnols ne s’intéressèrent pas à cette histoire étrangère à la leur.  Et la justification d’une famille éteinte ne concernait plus la France de cette époque.  Les années passèrent, l’imprimerie vint.  De nombreux livres furent publiés, mais les ouvrages en proses et en vers de l’écrivain bourguignon restèrent ignorés.  Un autre chroniqueur, Commines fut plus heureux en passant à propos dans les rangs des Français. 
De fait, la fortune littéraire de Georges Chastellain semblait définitivement condamnée.  Les uns après les autres, ses précieux manuscrits  se dispersèrent.  Le XIXe siècle, redécouvrit enfin le chroniqueur de la cour de Bourgogne et ce qui restait de son oeuvre.

C’est en Flandre, dans le comté d’Alost (Aalst) en 1405 que Georges Chastellain vit le jour.  Il descendait des maisons de Gavre (Gavere) et de Masmines.  Il tirait son nom de la famille des châtelains d’Alost à laquelle il appartenait.

Arrivé à l’âge de sept ans, après une enfance paisible, Jehan, son père, un homme fort sage dit-on, considéra qu’il était temps pour son fils d’apprendre à lire et à écrire.  Il confia l’éducation de l’enfant à un clerc.  « La patrenôtre », pour parler comme Georges, fut à la fois sa première prière et sa première leçon.  Ce clerc, dont nous ignorons le nom, lui apprit à bien parler, à lire et à écrire en français et en latin.  Sous sa férule, notre Georges fera de très rapides progrès.  
Enfant doué, il aime les livres, surtout ceux qui éduquent et qui sont utiles.  Les ouvrages qui enseignent les préceptes de Dieu et ceux qui décrivent certains hommes comme exemples de sagesse ont sa préférence.
Les années passent et son esprit, sa force physique se développent harmonieusement.  Comme il aime l’étude, il s’applique à acquérir avec zèle et persévérance toujours plus de connaissances.  En 1430, on le voit encore assis sur les bancs de l’université de Louvain.
Georges a vingt-cinq ans.  La sève de la jeunesse en lui, il pense un peu moins aux études.  Notre étudiant ne songe bientôt plus qu’aux jeunes et jolies dames.  Comme il possède une âme de poète, il compose pour elles des vers charmants.  Pour mieux les trouver, il fréquente de plus en plus le monde, et, des mondanités à l’ambition, il n’y a qu’un pas.  Finies les retraites studieuses en solitaire.  Le monde l’attend.  Pour lui, maintenant, plus rien ne surpasse le bonheur de vivre parmi les seigneurs.  Il voyage ; traverse plusieurs pays lointains ; fréquente les cours et la noblesse.  Ceux qui le connaissent le surnomme l’aventureux.  Il semble que la fin de ses aventures soit assez malheureuse.  On ne sait rien des entreprises qu’il tenta, ni des épreuves qu’il subit.  Il combat pour la première fois, semble-t-il, en 1433 sous la bannière de Philippe le Bon.  Pour ses faits d’armes, il reçoit 90 francs.

Le traité d’Arras marque la fin de la guerre.  Comme beaucoup d’autres, Chastellain se retrouve sans emploi.  Un proche du duc de Bourgogne, Colard de Brimeu, sénéchal de Poitou, prend l’ancien soldat à son service.  Quelques temps après, Jean de la Roche succède à Colard, son épouse remplit la fonction de  gouvernante auprès de Catherine de France, seconde fille de Charles VII et de Marie d’Anjou.  Catherine de France épousera le comte de Charolais, fils de Philippe le Bon et d’Isabelle de Portugal.  Les de la Roche parti, la sénéchaussée de Poitou passe à Pierre de Brézé qui devient et restera l’ami de Chastellain.  Brezé sera plus tard persécuté et arrêté par ordre de Louis XI.  Chastellain laissera sur la captivité de son ami un écrit fort émouvant.  En 1445, Brézé l’envoie en missions secrètes auprès de Philippe le Bon.  De par sa fonction, Chastellain est souvent en relation avec la cour de France.  Charles VII le reçoit toujours avec bienveillance et lui fait beaucoup d’honneur.  Toujours poète, pour remercier le souverain de ses bontés, Chastellain lui offre quelques vers de sa composition.  Il aime la France.  Et longtemps après, lorsque Charles et Philippe se seront éloignés l’un de l’autre et, jusqu’au début du règne de Louis XI, Chastellain répétera qu’il met la France au-dessus de toutes les nations chrétiennes.  C’est à cette époque qu’il rencontre des personnages célèbres, parmi eux Agnès Sorel, qu’il n’apprécie pas,  et le roi René de Sicile, l’ami des poètes.

« j’ay puis veu sourdre en France,
Par grant dérision,
 La racine et la branche
De toute abusion,
Chef de l’orgueil du monde
Et de lubricité ;
Femme où tel mal habonde
Rend povre utilité. »



Charles VII
 
S’il aime la France plus que tout autre pays, il n’oublie pas le sien : la Flandre.  Car là est le tombeau de ses ancêtres.  En Flandre, il retrouve des natures fières, un attachement profond aux institutions, aux droits des villes et des communes.  A plusieurs reprises, il exprime ce sentiment d’appartenance dans son œuvre.  Lorsque le duc de Bourgogne déclare que la noblesse de la Flandre par sa constance et sa fermeté est « la plus féable du monde », il s’enthousiasme.  Par gentille ironie, ses bons amis français l’appellent : « le gros homme flamand ».

Un peu à regret, Chastellain quitte la cour de France en 1445 quand, éclatent aux conférences de Châlons de violentes dissensions.  Si violentes que l’on craint un moment une guerre entre le roi de France et le duc de Bourgogne.  Sa vie change.  On suppose qu’il va d’abord à Gand.  Dans cette ville, il assiste, au mois de décembre 1445 à un tournoi resté célèbre.  Parmi les juges de cette joute : le duc Charles d’Orléans, fils du duc Louis, assassiné à Paris, en 1407, dans la vieille rue du temple.  Fait prisonnier à la désastreuse bataille d’Azincourt, le duc d’Orléans a passé vingt-cinq années dans les geôles anglaises.

« Et encoires recite l’acteur en sa vision d’un duc d’Orléans mal fortuné,
Et qui après longue prison revint en prospérité »

Coïncidence, le confesseur du duc français s’appelle : Adam Chastellain.  Mais rien ne dit qu’il est parent avec notre chroniqueur.  Protecteur des poètes, Charles, tout comme son père, aime les lettres, qu’il cultive :

« Le temps  a laissé son manteau
de vent, de froidure et de pluie…. »

Le duc Charles sait que Chastellain est poète aussi l’accueille-t-il fort chaleureusement.

   
A cette époque, Georges Chastellain renonce aux armes et à sa vie aventureuse.  Il veut « acquérir » comme il l’écrit «  mérite en labeur et impression de science ».  Au mois d’avril 1446, Chastellain accompagne Philippe le Bon à Arras.  Il assiste là, à un combat singulier entre Philippe de Ternant, chambellan du duc, et un gentilhomme castillan.  A la suite de ce tournoi commence une longue amitié  entre le chambellan  et Georges.
Dès cette époque Chastellain figure parmi les écuyers panetiers du duc.  L’année suivante, le duc l’envoie en mission en France où il passe plus de deux mois.  A son retour il se rend à Bruges ensuite à Gand, mais son séjour dans les états bourguignons ne se prolonge pas.  Sa prudence, son habilité, lui ont concilié la faveur de Philippe le Bon.  Cette fois c’est sur les rives du Rhin que le duc l’envoie.  Le sire de Ternant et lui conduisent une ambassade vers le duc de Clèves et l’archevêque de Cologne.  A peine revenu d’Allemagne, il tombe malade à Bruxelles.  Pour l’aider à se soigner, Georges a des soucis financiers, Philippe lui octroie une somme trente deux livres.  L’année qui suit, le duc charge le sire de Ternant et Chastellain d’une nouvelle mission en Bourgogne.  A cette ambassade se trouve associé un jeune écuyer franc-comtois, nommé Olivier de la Marche.  En Bourgogne, Olivier et Georges rencontrent le duc d’Orléans.  Toujours très amical, le père du futur Louis XII, reçoit les Bourguignons à bras ouverts.  En 1449, les Anglais  saccagent Fougères.  Cet acte de guerre engendre la colère du duc de Bretagne.  La prise de la ville rallume les haines mal éteintes entre la France et l’Angleterre.  Philippe de Bourgogne qui désire maintenir la paix, envoie Chastellain vers le duc de Bretagne.

Philippe le Bon

Mais l’ambassadeur extraordinaire, que le duc dépêche là où la situation le demande, exerce une fonction fort  subalterne à la cour de Bourgogne.
Si honorable qu’elle est, la fonction d’écuyer panetier, n’enrichit pas ceux qui l’exercent.  En 1447, Olivier de la Marche reçoit trois sous par jour, c’est-à-dire le même salaire que les valets de fruits, de torches et d’étables.  C’est peu, même très peu. La recette générale des finances mentionnent, en 1450, que Chastellain, malgré les faveurs dont il jouit, doit lutter contre des embarras financiers. 
Le duc ne  tenait semble-t-il pas assez compte des frais de ses missions et de ses voyages.  Pour conduire à bien ses ambassades, Chastellain s’endettait.

 

Malgré ces problèmes, pour plaire au duc, il compose deux ouvrages à l’intention de son fils, le comte de Charolais : « Enseignements paternels et l’instruction d’un jeune prince ».

Un fois encore, le 17 mars 1451, le duc envoie son écuyer panetier en mission secrète.  Strictement secrète cette fois-ci, car on ne connaît ni le lieu ni l’ordre de mission.  Mystère total.  La même année, il monte en grade, il devient écuyer tranchant.  A Mons, il assiste au chapitre de l’ordre de la toison d’or. 
En 1454, lorsque le duc revient d’Allemagne, il préside avec Olivier de la Marche, les fêtes de Nevers.  Elles sont offertes au duc et à la duchesse d’Orléans et à la duchesse de Bourbon.  Les fêtes terminées, il suit le duc à Châlons, Dijon, Rouvres et à Salins.  Il se rend encore avec lui à Lille et à Bruges.  Sur la route, une mission secrète à Valenciennes lui est confiée.  Georges Chastellain participe à la plupart des cérémonies officielles.  Il assiste ainsi, en 1455, aux processions de la croisade.  En 1456, il accompagne Philippe le Bon en Hollande.  Chastellain est partout, ses services méritent une plus grande distinction.  Le 14 janvier 1456, notre homme se voit enfin paré du titre envié de conseiller de Philippe le Bon.

                                       

Vers la même époque, on trouva dans l’hôtel de duc de Bourgogne quelques vers oubliés qui reprochaient au roi de France sa conduite méfiante et soupçonneuse vis-à-vis du duc Philippe.  Ces vers étaient de Chastellain.  Cette découverte fit scandale à la cour de France.  Un nommé Gilles des Ormes s’adressant à l’auteur, écrit :
«  Changez propos… disposez vous à guerre et à bataille,… ».

Aussi, lorsque peu après, notre conseiller reçoit une mission en France, on lui fait un assez mauvais accueil à la cour.  Vivement interpellé, fortement bousculé, Chastellain se voit traité d’ingrat par les proches de Charles VII.  Les courtisans l’accusent d’oublier les bienfaits qu’il avait reçu naguère de ce roi.  Certains racontent qu’il évita de justesse la prison.  Revenu dans les états du duc, notre « ingrat » compose pour se justifier, son « exposition sur vérité mal prise ».  Cette affaire lui a causé suffisamment de soucis pour que sa santé s’altère.  A partir de ce moment, le conseiller du duc ne conserve plus cet enthousiasme pour les affaires de l’état.  Compréhensif, le duc lui offre un logement dans le vieil hôtel de la Salle-le-Comte.  Jadis, se tenaient dans ce palais, de belles assemblées de chevaliers.  Valenciennes, si fière d’avoir vu naître Froissart, va abriter les dernières années de Chastellain et recevoir sa tombe. 
En même temps, le duc lui accorde une pension annuelle de 650 livres.  A la condition « de mettre par escript choses nouvelles et morales, en quoy il est expert et cognoissant, et aussi par manière de cronicque les faits dignes de mémoire. ».

Vers cette époque, il reçoit le titre d’historiographe.  Le duc lui demandait de raconter et de juger les nombreux événements dont il avait été le témoin.  Depuis plusieurs années, il avait réuni les matériaux nécessaires pour écrire la chronique souhaitée.  Il avait atteint cet âge où les illusions se sont évanouies et, où l’on est arrivé « à mûrisson et gravité plus parfaite. ». 

Jean sans Peur

Avec autorité, il va maintenant, évoquer ses souvenirs, depuis le sombre Jean sans Peur jusqu’au bouillant Charles le Téméraire, depuis le faible Charles VI jusqu’à l’astucieux Louis XI.  Ses écrits vont embrasser toute l’histoire de la maison de Bourgogne et toute l’histoire de la France de ce temps là.  

Cette période avait été marquée par le développement du pouvoir des princes.  
Ces chroniques offrent le tableau de la décadence simultanée des institutions communales et de la chevalerie, dont les héros ne sont plus que des chefs de bandes.  Elles décrivent les catastrophes qui se succèdent, les intrigues, les passions honteuses et les convoitises du siècle.  

Louis XI

En 1461, Chastellain interrompt son récit pour célébrer l’avènement de Louis XI.  Il avait connu ce prince à Bruxelles pendant les cinq années où il résida chez son « bel oncle » Philippe.  Dauphin encore, Louis multipliait, à cette époque, les protestations les plus humbles de gratitude et de dévouement à l’égard du duc et de son entourage.  Après le couronnement il en alla tout autrement.  Philippe le Bon s’attendait à la reconnaissance du nouveau roi, mais il s’aperçut « qu’il avait nourri le renard qui mangera ses poules ».  Le duc confia ce sentiment à Chastellain.  L’historiographe ajouta alors quelques lignes dans sa chronique.  Il reconnut combien l’on s’était trompé sur ce prince.  

Dès 1463, il se fait aider, par Jean Molinet, qui devait plus tard continuer son récit. 

Charles le Téméraire

En 1467, Philippe le Bon meurt, son fils Charles lui succède. A Bruxelles, quelques temps après, Charles, devenu le Téméraire, reçoit des mains d’un nommé Jean Chenebaut, un livre écrit par Chastellain « touchant le trépas de feu de très noble mémoire monseigneur le duc Philippe ».  Charles le Téméraire comme son père aime les lettres, il apprécie beaucoup l’ancien conseiller.  Aussi le maintient-il comme indiciaire.  Il va faire plus encore.  Le dimanche 2 mai 1473, pour la tenue d’un chapitre de l’ordre de la toison d’or, le Téméraire se trouve à Valenciennes.  Avant que la grand’messe ne soit célébrée à l’église Saint-Paul, il arme lui-même Georges Chastellain chevalier de l’ordre.  Le nouveau chevalier ne survivra guère à cet honneur qui couronne sa longue et honorable carrière.  Il décède dans les premiers mois de 1475. 
On l’inhume dans l’église de Notre-Dame de la Salle-le-Comte, où il avait fondé la solennité de Saint-Georges «  à l’honneur de tous les chevaliers ».    Il laissait un fils, nommé Gauthier, qui fut doyen de Leuze en 1524.  Depuis la révolution de 1789, l’église et le château de la Salle-le-Comte  n’existent plus.

Au milieu des dissentiments et des rancunes du roi de France et du duc de Bourgogne, il avait entrepris une œuvre bien dangereuse, et souvent au lieu de tresser des roses, il mania, comme il le dit lui-même, des épines qui lui déchirèrent les mains, mais, quoi qu’il en fut, il fallait défendre la cause «  de l’innocent et du prud’homme, en le citant comme exemple et comme modèle. ».

  « J’ai escript, dit-il en parlant des princes de son temps, leurs œuvres et contentions et les grâces et les gloires que Dieu leur a envoyées.  Qui mieux les a employées, c’est celui qui en attend le plus grand fruit, et qui plus les aura converties à vanité, plus en tirera reproches.  Rois meurent, et nations s’esvanouissent ; mais seule vertu suit l’homme en sa bière et luy baille gloire éternelle. »  telle fut l’impartialité de Georges Chastellain, tel fut son zèle pour la vérité.

                                       

Olivier de la Marche nomme Chastellain « son père » et s’honore de donner ce titre au « grand historiographe » du XVe s.  

Il écrivit des ouvrages en vers, des pages à la manière de Boccace sur les nobles malheureux, un mémoire adressé à Charles VII  « exposition sur vérité mal prise », une chronique et quelques autres pièces encore.

Chastellain est avant tout un écrivain de la Renaissance.  Il prend dans ses ouvrages les anciens comme modèles.  Au siècle suivant, Joachim du Bellay déclarera qu’il faut prendre les anciens pour modèles.  Un peu trop rhétoricien dans ses réflexions, il emploie un langage énergique et viril dans ses narrations. Il cherche à faire passer dans ses écrits la pensée des antiques sans en affaiblir la concision.  Il écrit ainsi parfois latin en français. Ces vers sont bien au-dessous de ceux de Ronsard et sa prose est sans grande portée, mais qu’importe, les mots sont là, avant tout, pour instruire.


Assassinat de Jean sans Peur