bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

lundi 18 juillet 2011

Vacances majorquines - 3e partie

Le 17 janvier, ils eurent l’heureuse surprise de recevoir une visite.  Un grand voyageur, Charles Dembowski, leur apportait du courrier et des nouvelles de la France.

« …j’étais porteur d’un paquet de lettres et de journaux pour George Sand…empressé de remplir ma commission auprès de l’intéressante ermite qui me reçut avec cette courtoisie et cette charmante simplicité de manières que vous connaissez…le soir j’étais de retour dans le cabaret où l’on dansait encore.  Au nombre des spectateurs se trouvait l’alcade et le curé de l’endroit, qui étaient déjà instruits de ma visite aux solitaires de la chartreuse.  Vous ne sauriez vous figurer combien ces braves gens étaient froissés de ce George Sand n’avait pas daigné assister à la cérémonie du matin.  Le curé surtout qui avait prodigué l’eau bénite en était mortifié… Pour le coup cette dame française doit être une femme d’un genre tout à fait à part ! figurez-vous qu’elle ne parle à âme qui vive, ne sort jamais de la chartreuse, et ne se montre jamais à l’église, pas même les dimanches, accumulant ainsi sur son âme Dieu sait combien de péchés mortels.  Je tiens en outre de l’apothicaire qui demeure aussi dans la chartreuse, que la senora fabrique des cigarettes comme personne, prend du café à tout moment, dort pendant le jour, et ne fait qu’écrire et fumer pendant la nuit.  De grâce, mon cher Monsieur, vous qui la connaissez, dites-nous ce qu’elle est venue faire ici dans le cœur de l’hiver… »

« moi, je passe pour vouée au diable, parce que je ne vais pas à la messe, ni au bal, et que je vis seule au fond de la montagne enseignant à mes enfants la Clé des participes et autres gracieusetés…et selon ma coutume, je passe la moitié de la nuit à travailler pour mon compte… »

A Paris, la discrète escapade sentimentale de Majorque était devenue un secret de Polichinelle.  L’échappée amoureuse des Baléares amusait le monde.

« Madame Sand est à Palma, dans les Baléares…Elle est avec le pianiste polonais Chopin qui règne… » (Sainte-Beuve)

A Majorque, les événements se précipitaient, les habitants s’unissaient contre les étrangers de la chartreuse.  Le conflit entre la romancière et la population se radicalisait.  Pour cette population, elle était une femme qui signait ses livres d’un nom d’homme, qui fumait le cigare. Cette femme habillait sa fille comme un garçon. Une pécheresse vivant en concubinage et cela devant deux enfants.  Situation impudique, coupable et scandaleuse.  En plus son amant était phtisique.  Ils niaient aussi le Seigneur.  Six dimanches qu’ils vivaient là et pas une seule fois, on ne les avait vu assister à la messe. Et enfin, outrageant toute la communauté, ils avaient osé mépriser la fête du village.  L’offense faite à Dieu et aux villageois était impardonnable.  Les étrangers de la chartreuse n’étaient que des mécréants, déclarèrent-ils.  On devait les traiter comme tels.  La damnation les attendait.  En enfer ! En enfer, les étrangers ! criait cette multitude.

« le paysan majorquin…n’est guère plus homme que les êtres endormis dans l’innocence de la brute.  Il récite des prières, il est superstitieux comme un sauvage ; mais il mangerait son semblable sans plus de remords, si c’était l’usage de son paysil trompe, ment, rançonne, insulte et pille, sans le moindre embarras de conscience.  Un étranger n’est pas un homme pour lui.  Jamais il ne dérobera une olive à son compatriote ; au-delà des mers l’humanité n’existe dans les desseins de Dieu que pour apporter de petits profits aux Majorquins…nous eussions pu vivre cependant en bonne intelligence avec ces braves gens, si nous eussions fait acte de présence à leur église.  Ils ne nous eussent pas moins rançonnés en toute occasion…l’alcade nous signalait à la désapprobation de ses administrés, je ne sais pas si le curé ne nous prenait point pour texte de ses sermons.  La blouse et le pantalon de ma fille les scandalisaient beaucoup aussi.  Ils trouvaient fort mauvais qu’une jeune personne de neuf ans courût la montagne déguisée en homme… »

Bien décidés de se débarrasser de ces impies, les Majorquins les affamèrent.

« ils eurent alors un moyen de venger la gloire de Dieu qui n’était pas chrétien du tout.  Ils se liguèrent entre eux pour ne nous vendre leur poisson, leurs œufs et leurs légumes à des prix exorbitants.  Il ne nous fut permis d’invoquer aucun tarif, aucun usage.  A la moindre observation : Vous n’en voulez pas ? disait le pagès d’un air de grand d’Espagne, en remettant ses oignons ou ses pommes de terre dans sa besace ; vous n’en aurez pas. Et il se retirait majestueusement, sans qu’il fut possible de le faire revenir pour entrer en composition.  Il nous faisait jeûner pour nous punir d’avoir marchandé…il nous fallait jeûner en effet ; point de concurrence ni de rabais entre les vendeurs.  Celui qui venait le second demandait le double, et le troisième le triple…nous eûmes souvent du pain comme du biscuit de mer et de véritables dîners de chartreux… »

Conséquences de l’humidité de So’n Vent et de l’air saturé d’eau de Valdemosa, George souffrit de graves crises de rhumatisme.  Elle s’alita. Ces crises, ajoutées aux soucis causés par Chopin, à l’hostilité des villageois, à la pluie et à la faim, aggravèrent encore leur situation.  Pourtant George faisait encore contre mauvaise fortune bon cœur.  Elle gardait sa bonne humeur.
Mais il n’en était pas de même de Chopin.  Il devenait chaque jour plus étrange, plus sombre et plus irritable.

« ...notre existence eût été fort agréable dans cette solitude romantique, en dépit de la sauvagerie du pays et de la chiperie des habitants, si le triste spectacle des souffrances de notre compagnon…ne m’eussent ôté forcément tout le plaisir et tout le bénéfice du voyage…il se démoralisa d’une manière complète.  Supportant la souffrance avec assez de courage, il ne pouvait vaincre l’inquiétude de son imagination…avec le sentiment exagéré des détails, l’horreur de la misère et les besoins d’un être raffiné, il prit naturellement Majorque en horreur… »

Pour tenter de lutter contre le dépérissement et soigner son ami, George acheta une chèvre. Elle espérait que son lait ferait merveille.

« …nous nous procurâmes une chèvre…nous lui donnâmes pour compagne une grosse brebis…mais à elles deux, et quoique bien nourries, elles nous fournissaient une si petite quantité de lait, que nous nous méfiâmes des fréquentes visites que la Maria-Antonia, la Nina et la Catalina rendaient à notre bétail.  Nous le mîmes sous clef dans une petite cour au pied du clocher, et nous eûmes soin de traire nous-même. Ce lait des plus légers, mêlé à du lait d’amandes que nous pilions …faisait une tisane assez saine et assez agréable…un jour nous nous crûmes sauvés, parce que nous aperçûmes des violettes dans le jardin d’un riche fermier.  Il nous permit d’en cueillir de quoi faire une infusion, et quand nous eûmes fait notre petit paquet, il nous fit payer à raison d’un sou par violette : un sou majorquin, qui vaut trois sous de France… »

Malgré une gaieté apparente, tout le monde était fatigué de ce séjour. 
Qu’espérait-on?  La fin de l’hiver, le retour du soleil, l’amélioration de la santé de Chopin…George elle-même se décourageait.  

« Nous étions donc seuls à Majorque, aussi seuls que dans un désert ; et quand la subsistance de chaque jour était conquise, moyennant la guerre aux singes, nous asseyions en famille pour en rire autour du poêle.  Mais à mesure que l’hiver avançait, la tristesse paralysait dans mon sein les efforts de gaieté et de sérénité.  L’état de notre malade empirait toujours…nous sentions prisonniers, loin de tout secours éclairé et de toute sympathie efficace.  La mort semblait planer sur nos têtes pour s’emparer de l’un d’entre nous, et nous étions seuls à lui disputer sa proie.  Il n’y avait pas une seule créature humaine à notre portée qui n’eût voulu au contraire le pousser vers la tombe pour en finir au plus vite avec le prétendu danger de son voisinage.  Cette pensée d’hostilité était affreusement triste…»

Maria-Antonia y allait aussi de sa compassion.

« …la situation était effrayante ; il y avait des jours où je perdais l’espoir et le courage.  Pour nous consoler, la Maria-Antonia et ses habitués du village répétaient en chœur autour de nous les discours les plus édifiants sur la vie future.  « ce phtisique, disaient-ils, va aller en enfer, d’abord parce qu’il est phtisique, ensuite parce qu’il ne se confesse pas.  S’il en est ainsi, quand il sera mort, nous ne l’enterrerons pas en terre sainte, et comme personne ne voudra lui donner la sépulture, ses amis s’arrangeront comme ils pourront.  Il faudra voir comment ils se tireront de là : pour moi, je ne m’en mêlerai pas. – Ni moi -Ni moi ; et amen !. »

L’écoeurement s’empara de George.  Ah ! partir, partir, tout de suite et loin, très loin de ces gens hostiles, de leurs bassesses, de leur égoïsme.  Emmener ses enfants et son pauvre Chopin mourant.  Rentrer chez soi !

Enfin, le soleil revint. Autant que, pour célébrer ce retour que pour satisfaire une soif irrésistible d’évasion, George entraîna ses enfants dans une longue et dernière promenade au bord de la mer.

« Les pluies avaient enfin cessé, et le printemps se faisait tout à coup.  Nous étions au mois de février ; tous les amandiers étaient en fleurs et les prés se remplissaient de jonquilles embaumées…un jour que notre malade était assez bien pour rester seul deux ou trois heures, nous nous mîmes enfin en route, mes enfants et moi pour voir la grève… »

Après s’être rassasiée du spectacle de la mer, de grand air et de soleil, George retrouva à la chartreuse tous les soucis qu’elle y avait laissés.  Chopin était devenu si faible et si irritable qu’elle ne savait vraiment plus que faire ni que dire.  L’exaspération l’envahit à son tour.  Dans ces conditions, il valait mieux partir, et sans attendre.

Mais comment transporter le malade jusqu’à Palma ?  On ne pouvait envisager , pour lui, de voyager dans l’un de ces épouvantable birlochos.  Elle songea à solliciter quelques relations majorquines.

« Les personnes du pays, ont presque toutes une sorte de voiture, et les nobles ont des carrosses du temps de Louis XIV, à boîte évasée, quelques-uns à huit places, et dont les roues énormes bravent tous les obstacles »

Mais le spectre de la contagion de la phtisie de Chopin étouffa toute humanité dans les cœurs.

« Nous demandâmes un seul, un premier, un dernier service !  une voiture pour le transporter à Palma…Ce service nous fut refusé…Il nous fallut faire trois lieues dans des chemins perdus en birlochos, c’est-à-dire en brouette ! »

Le 11 février 1839, ils quittèrent Valdemosa.

«Notre séjour à la Chartreuse de Valdemosa fut donc un supplice pour lui et un tourment pour moi. ».  Ils y avaient vécu cinquante huit jours.

Le trajet dura trois longues heures.   Secoués et ballottés, ils crurent à chaque instant que l’infortuné Chopin allait rendre l’âme.

Ils arrivèrent vers midi à Palma.  Mais les problèmes pour autant, n’étaient pas finis.  Le piano de Chopin source de tant de soucis fut la cause d’un nouveau tracas.  Pour laisser entrer l’instrument dans la ville, les douaniers exigeaient à nouveau, le paiement d’un droit exorbitant.  En vain, George argumenta.  Les douaniers se montrèrent inflexibles.  Que faire ?  Elle était presque à court d’argent et les frais de la longue route du retour ne lui permettaient d’acquitter la taxe exigée.  On déchargea donc le piano, qui resta sous douane.  Une fois de plus, le bon Fleury vint à l’aide.  Il proposa à George de vendre le piano. Mais, aucun particulier ne voulut, du piano touché par un poitrinaire, personne ne voulait s’exposer à mourir dans l’année.  Finalement, le banquier Bazile Canut achetât le piano de Chopin et vendit le sien.  Le piano rapidement dédouané, moyennant quelques « étrennes » aux inflexibles douaniers, fut porté chez le banquier.  George, délivrée de ce poids, était heureuse.  Elle quitta Majorque à bord du même bateau qui l’avait conduite trois mois auparavant dans cette île.  En franchissant la passerelle, il lui sembla que leur tourment allait prendre fin.  Malgré les inquiétudes, les déceptions, les rancoeurs, l’argent dépensé, la pensée de quitter enfin cette terre sauvage les rendit joyeux.  Mais les difficultés les poursuivaient.  Le capitaine voyant l’affreuse mine de Chopin, fit des complications pour l’admettre.  George n’était plus d’humeur à se laisser faire.  Connaissant les Majorquins, elle comprit que c’était encore une question d’argent.  Elle paya le double du prix du passage pour Chopin.  Aussitôt, le capitaine « s’humanisa ».  Ils eurent la permission de monter à bord du bateau.  Le voyage jusqu’à Barcelone fut épouvantable.  Outre les passagers, le bateau transportait des porcs.  L’odeur des cochons embarqués ajoutée à la chaleur rendaient l’air irrespirable à bord.  Dans l’étroite cabine surchauffée, Chopin suffoquait.  A peine arrivée à Barcelone, George quitta, au plus vite, le malodorant bateau pour monter dans un navire de la marine française.

«  En mettant le pied sur ce beau brick de guerre, tenu avec la propreté et l’élégance d’un salon, en nous voyant entourés de figures intelligentes et affables, en recevant les soins généreux et empressés du commandant, du médecin, des officiers et de tout l’équipage…nous sautâmes de joie sur le pont en criant du fond de l’âme : « Vive la France ! »  Il nous semblait avoir fait le tour du monde et quitter les sauvages…pour le monde civilisé. »

Ainsi finit le « fiasco » des vacances majorquines de George Sand et de Frédéric Chopin.  George Sand se vengea en publiant « Un hiver à Majorque ».
Les grands écrivains vous font parfois des réputations qui durent…

De nos jours, à la chartreuse, on  honore Chopin et son piano.  

« …c’est là qu’il a composé les plus belles de ces courtes pages qu’il intitulait modestement des préludes.  Ce sont des chefs-d’œuvre… »

Quant à George Sand, elle est moins célébrée…










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