bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

lundi 11 juillet 2011

Vacances majorquines - 2e partie

Valdemosa.

« Nous partîmes pour Valdemosa, vers la mi-décembre par une matinée sereine… »

La chartreuse se composait de trois cloîtres.  Celui que devait habiter George, Chopin et les enfants se situait dans la partie la plus récente.
Trois pièces spacieuses composaient la cellule.  La salle du milieu était destinée à la lecture.  Celle de droite formait la chambre à coucher.  A gauche, la pièce servait d’atelier de travail et de salle à manger.  Protégée des intempéries par une voûte, la cuisine se trouvait à l’extérieur.  La cellule s’ouvrait sur un grand jardin, séparé de celui du voisin par un mur.  La cellule de Chopin était identique à celle de George.
Leur première nuit se passa au milieu des bagages.  Le lendemain, George entreprit d’aménager les deux cellules à son goût.

« Nous avions un mobilier splendide : des lits de sangles irréprochables, des matelas peu mollets, plus chers qu’à Paris, mais neufs et propres, et de ces grands et excellents couvre-pieds en indienne ouatée et piquée…Une dame française, établie dans le pays, avait eu la bonté de nous céder quelques livres de plume qu’elle avait fait venir pour elle de Marseille et dont nous avions fait deux oreillers à notre malade.  C’était certes un grand luxe dans une contrée où les oies passent, pour des êtres fantastiques, et où les poulets ont des démangeaisons, même en sortant de la broche…Nous possédions plusieurs tables, plusieurs chaises de paille comme celle qu’on voit dans nos chaumières de paysans, un sofa voluptueux en bois blanc avec des coussins de toile…Comme chez les Africains et les Orientaux, il n’y a point d’armoires dans les anciennes maisons de Majorque, et surtout dans les cellules de chartreux.  On y serre ses effets dans de grands coffres en bois blanc.  Nos malles de cuir jaune pouvaient passer là pour des meubles très élégants.  Un grand châle…devint une portière somptueuse devant l’alcôve… » 
Cellule de Chopin.

Ces premiers arrangements terminés, George se sentait à peu près chez elle.  Elle se préoccupa alors de trouver de l’aide pour Amélie.  Fatiguée par les épreuves et l’entretien de quatre personnes depuis son arrivée dans l’île, la brave femme n’en pouvait plus. Trouver des domestiques à Majorque ne s’avérait pas très difficile.

« … la seconde particularité des Majorquins est l’esprit de domesticité qui règne chez les paysans, et qui les parque par douzaines au service des riches et des noblesTout aristocrate majorquin a une suite nombreuse que son revenu suffit à peine à entretenir, quoiqu’elle ne lui procure aucun bien-être ; il est impossible d’être plus mal servi qu’on ne l’est par cette espèce de serviteurs honoraires.  Quand on se demande à quoi un riche Majorquin peut dépenser son revenu…on ne se l’explique qu’en voyant sa maison pleine de sales fainéants des deux sexes…et qui, dès qu’ils ont passé une année au service du maître, ont droit pour toute leur vie au logement, à l’habillement et à la nourriture…C’est un luxe à Majorque d’avoir quinze domestiques pour un état de maison qui en comporterait deux tout au plus.  Et quand on voit de vastes terrains en friche, l’industrie perdue, et toute idée de progrès proscrite par l’ineptie et la nonchalance, on ne sait lequel mépriser le plus, du maître qui encourage et perpétue ainsi l’abaissement moral de ses semblables, ou de l’esclave qui préfère une oisiveté dégradante au travail qui lui ferait recouvrer une indépendance conforme à la dignité humaine. »  

George ne chercha pas bien longtemps et surtout pas loin, la cellule à côté de la sienne était occupé par une vieille femme, Maria-Antonia.

« c’était une sorte de femme de charge qui était venue d’Espagne….et qui avait loué une cellule pour exploiter les hôtes passagers…elle avait coutume d’offrir ses services aux arrivants et de refuser d’un air outragé, et presque en se voilant la face, toute espèce de rétribution…Elle agissait pour l’amour de Dieu… » 

Un bien singulier apostolat.

« …aussitôt elle entrait en possession de tout votre ménage, et prélevait pour elle le plus pur de vos nippes et de votre dîner.  Je n’ai jamais vu de bouche si dévote plus friande, ni de doigts plus agiles pour puiser, sans se brûler, au fond des casseroles brûlantes, ni de gosier plus élastique pour avaler le sucre et le café de ses hôtes chéris à la dérobée, tout en fredonnant un cantique… »

A son entière disposition, Marai-Antonia persuada la romancière d’engager deux autres personnes, aussi désintéressées qu’elle-même.  Le jour d’après, arrivèrent du village, deux femmes : la Catalina et la Nina.  Ces questions réglées, George partit à la découverte du monastère et de ses hôtes.

Le monastère n’était occupé que par eux, Maria-Antonia , le sacristain et un vieux pharmacien.

« Le Pharmacien était un chartreux qui s’enfermait dans sa cellule pour reprendre sa robe jadis blanche, et réciter tout seul ses offices…quand on sonnait à sa porte…on le voyait jeter à la hâte son froc sous son lit…c’était un vieillard très méfiant…priant peut-être pour le triomphe de Don Carlos et le retour de la sainte Inquisition, sans vouloir de mal à personne…Le sacristain était un gros gars qui avait peut-être servi, la messe aux chartreux dans son enfance, et qui désormais était dépositaire des clefs du couvent.  Il y avait une histoire scandaleuse sur son compte ; il était atteint et convaincu d’avoir séduit et mis à mal une senorita qui avait passé quelques mois avec ses parents à la chartreuse, et il disait pour s’excuser, qu’il n’était chargé par l’Etat que de garder les vierges en peinture…il avait des prétentions au dandysme…il avait un pantalon européen et des bretelles…Sa sœur était la plus belle Majorquine que j’aie vue.  Ils n’habitaient pas le couvent…mais ils faisaient leur ronde chaque jour et fréquentaient la Maria-Antonia, qui les invitaient à manger notre dîner… »

Pour le ravitaillement de la petite communauté, George,  accompagnée des enfants, se rendit au village de Valdemosa.  

« …ses habitants sont pour la plupart des pêcheurs qui partent le matin pour ne rentrer que la nuit. Pendant tout le jour, le village est rempli de femmes, les plus babillardes du monde, que l’on voit sur le pas des portes, occupées à rapetasser les filets…en chantant à tue-tête… »

L’accueil des commères fut assez froid. 

« …il suffit que vous ayez l’air étranger pour qu’ils vous craignent et se détournent du chemin pour vous éviter. »

George réussit malgré tout à acheter quelques nourritures au tarif majorquin, c’est-à-dire fort élevé.
A la chartreuse, la vie s’organisait.  Redoutant les poux des Catalina et Nina, George accomplissait elle-même certaines tâches ménagères.  Ensuite, elle s’occupait de l’instruction des enfants et prodiguait ses soins à Chopin.  Le temps restant, elle le consacrait à la rédaction de la dernière partie de « Spiridon ».  Impatiemment son éditeur attendait la livraison de cette partie.  L’argent du voyage était conditionné à cet envoi.

Jardin de George Sand à Valdemosa.

« je donnais des leçons aux enfants dans la matinée, ils couraient tout le reste du jour, pendant que je travaillais ; le soir, nous courions ensemble dans les cloîtres au clair de la lune, ou nous lisions dans les cellules. »

Ils prenaient plaisirs à ces courses à travers le couvent.  Si les plaisirs des enfants étaient ceux de la découverte et de l’aventure, pour leur mère il en allait autrement.  Une jouissance particulière dans ce cadre sinistre la tenait.  L’atmosphère de ce qui avait été travaillait son l’imagination et conduisait la romancière vers la création littéraire.
« …je cherchais à surprendre le secret de la vie monastique…je demandais à ces murs abandonnés de me révéler la pensée intime des reclus licencieux qu’ils avaient durant des siècles, séparés de la vie humaine…ces âmes jetées…comme un holocauste à ce Dieu jaloux, auquel il avait fallu des victimes humaines aussi bien qu’aux dieux barbares…j’aurais voulu réanimer un chartreux du quinzième siècle et un du dix-neuvième pour comparer entre eux ces deux catholiques séparés dans leur foi, sans le savoir, par des abîmes…la vie du premier était assez facile à reconstruire avec vraisemblance…chrétien du moyen âge tout d’une pièce, fervent, sincère, brisé au cœur par le spectacle…des souffrances de ses contemporains, fuyant cet abîme de maux et cherchant dans la contemplation ascétique à s’abstraire et à se détacher autant que possible d’une vie ou la notion de perfectibilité des masses n’était point possible aux individus.  Mais le chartreux du dix-neuvième siècle, fermant les yeux à la marche devenue sensible et claire de l’humanité, indifférent à la vie des autres hommes, ne comprenant plus ni la religion, ni le pape, ni l’Eglise, ni la société, ni lui-même, et ne voyant plus que dans sa chartreuse une habitation spacieuse, agréable et sûre, dans sa vocation qu’une existence assurée, l’impunité accordée à ses instincts, et un moyen d’obtenir sans mérite individuel, la déférence et la considération des dévôts, des paysans et des femmes…. Il était impossible qu’il y eût une foi réelle à l’Eglise romaine dans cet homme…Il était impossible aussi qu’il y eût un athéisme prononcé ; car sa vie entière eût été un odieux mensonge…C’est l’image de ses combats intérieurs, de ses alternatives de révolte ou de soumission, de doute philosophique et de terreur superstitieuse que j’avais devant les yeux comme un enfer… »

Et pendant ce temps, Chopin malade, toussait toujours plus.  En vain, s’acharnait-il à la mise au point de ses préludes.  Faute d’un bon piano, le musicien ne pouvait vérifier l’harmonisation.  George débordante d’activités, Chopin se sentait seul.   Seule, la présence de son amante et des enfants le tirait de la torpeur dans laquelle insensiblement,  il s’enfonçait.

« le cloître était pour lui plein de terreurs et de fantômes…au retour de mes explorations nocturnes dans les ruines avec mes enfants, je le trouvais à dix heures du soir, pâle devant son piano, les yeux hagards et les cheveux comme dressés sur la tête.  Il lui fallait quelques instants pour nous reconnaître…Il faisait ensuite un effort pour rire, et il nous jouait des choses sublimes qu’il venait de composer… »

Une semaine après leur installation dans la chartreuse, le piano tant attendu, arriva dans l’île.  Soulagé par la nouvelle, Chopin reprit un peu courage.  Mais l’instrument se trouvait sous douane.  George et Maurice se rendirent à Palma.  Les douaniers pour les laisser emporter le piano réclamaient  non seulement des droits de douanes très élevés, mais encore un droit d’entrée, au tarif majorquin, bien sûr.

« Pour un piano que nous fîmes venir de France, on exigeait de nous sept cents francs de droit d’entrée ; c’était presque la valeur de l’instrument.  Nous voulûmes le renvoyer, cela n’était point permis ; le laisser dans le port jusqu’à nouvel ordre, cela est défendu ; le faire passer hors de la ville (nous étions à la campagne), afin d’éviter au moins les droits de la porte, qui sont distincts des droits de douane, cela était contraire aux lois ; le laisser dans la ville, afin d’éviter les droits de sortie, qui sont autres que les droits d’entrée, cela ne se pouvait pas : le jeter à la mer, c’est tout au plus si nous en avions le droit. »

Furieuse, mais ne voulant pas décevoir le malheureux malade, elle se rendit chez Fleury.  Le brave Consul promit son aide.  La pluie recommençait.  Elle tombait sans cesse, George et Maurice mirent sept heures pour parcourir les quelques lieues qui séparent Palma de Valdemosa.  Trempés jusqu’aux os, ils arrivèrent, à une heure avancée de la nuit au monastère.  Chopin torturé par l’inquiétude et l’angoisse leur sembla avoir soudainement perdu la raison.

«  Nous l’avions laissé bien portant ce jour-là, Maurice et moi, pour aller à Palma acheter des objets nécessaires à notre campement.  La pluie était venue, les torrents avaient débordé…nous arrivions en pleine nuit, sans chaussures…à travers des dangers inouïs.  Nous nous hâtions en vue de l’inquiétude de notre malade.  Elle avait été vive en effet…il jouait une admirable prélude en pleurant.  En nous voyant entrer, il se leva et jeta un grand cri, puis il nous dit d’un air égaré et d’un ton étrange : «  Ah ! je le savais bien, que vous étiez morts ! »
Pharmacie de la chartreuse.

Puis, il reprit ses esprits.  Séchée et réchauffée, George lui raconta les difficultés auxquelles elle s’était heurtée pour dédouaner le piano.  Chopin, déçu, se mit en colère.  Il se disait victime du mauvais sort.  La fatalité s’acharnait sur lui.  Il lui était impossible de lutter contre le destin.  Et la vie reprit son cours dans la monotonie des jours gris et pluvieux.  Noël passa. Chopin reçut une lettre qui ne le réconforta pas.  Réclamations de créanciers, inquiétude au sujet de l’achèvement des Préludes.  Le piano n’arrivait toujours pas et aucunes nouvelles de Fleury.  Chopin devenait de plus en plus sombre.  Le ravitaillement devenait de plus en plus difficile.  Certains jours ils se trouvaient fort dépourvus.



« …je connus pour la première fois de grands chagrins pour des petites contrariétés, la colère pour un bouillon poivré ou chipé par les servantes, l’anxiété pour un pain frais qui n’arrivait pas, ou qui était changé en éponge en traversant le torrent sur les flancs d’un mulet.  Je ne me souvient certainement pas de ce que j’ai mangé à Pise ou à Trieste, mais je vivrais cent ans, que je n’oublierais pas l’arrivée du panier aux provisions à la chartreuse.  Que n’eussé-je pas donné pour avoir un consommé et un verre de bordeaux à offrir à notre malade !  les aliments majorquins, et surtout la manière dont ils étaient apprêtés, quand nous n’y avions pas l’œil et la main, lui causaient un invincible dégoût.  Dirai-je jusqu’à quel point le dégoût était fondé ? un jour qu’on nous servait un maigre poulet, nous vîmes sautiller sur son dos fumant d’énormes maîtres Floh (des poux)… »

On approchait de la mi-janvier. Toujours torturé par le besoin d’argent et pour désintéresser ses créanciers, Chopin s’était obstiné malgré sa fièvre à terminer ses Préludes.  Une fois ces dettes réglées, il ne lui resterait plus rien.  Il lui fallait donc surmonter la maladie et continuer sans relâche à travailler.  Produire d’autres œuvres.  Leurs ventes lui rapporteraient l’argent nécessaire non seulement pour vivre ,mais encore pour pouvoir quitter ce pays hostile.  Le séjour à Majorque lui devenait de plus en plus pénible.  Egalement hanté par le soucis d’argent, George avait activé la conclusion de Spiridon.  Le 15 janvier, elle pouvait finalement envoyer à Buloz la fin du roman.
Grâce aux démarches de Fleury, le piano fut dédouané et transporté à la chartreuse à la fin de la troisième semaine de janvier.  Soulagé et heureux, Chopin prit enfin place devant le clavier de son piano tout neuf.

«Le pianino…remplissait la voûte élevée et retentissante de la cellule d’un son magnifique. »

A suivre…

Piano de Chopin.









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