bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

dimanche 10 avril 2011

Derrière un portrait, un drame - 3e partie.


On commençait à espérer que Clément VIII pardonnerait.  Rome tout entière était dans l’anxiété.  Quand la nouvelle d’un nouveau crime parvint au Pape.

Pour une question d’héritage, la marquise de Santa-Croce venait d’être poignardée par son fils.  Clément VIII se rappela alors le fratricide des Massimi.  Cette répétition d’assassinats commis sur des parents, obligea Clément VIII, malgré lui, à sévir. 
Dès lors, Il ne crut plus pouvoir pardonner.
  
Le  vendredi, 10 septembre 1599, à quatre heures de l’après-midi, il appela le gouverneur de Rome.  Il lui remit l’affaire des Cenci, pour que justice soit faite sans retard.
Pendant toute la nuit, les seigneurs romains affluèrent au palais du Pape et aux palais des cardinaux. Ils voulaient obtenir que les deux femmes fussent exécutées à l’intérieur de la prison et non sur la place publique.  Que l’on fit aussi grâce au jeune Bernardo, qui n’avait que quinze ans et qui était innocent. 
Le cardinal Sforza et d’autres cardinaux tentèrent en vain de convaincre Clément VIII.
Le crime de Santa-Croce l’était pour l’argent, celui de Beatrix pour sauver l’honneur.
L’avocat Farinacci intervint.  Il parvint jusqu’au Pape, et lui arracha, in extremis, la grâce de Bernardo.
Il était quatre heures du matin, ce samedi 11 septembre. 

Deux heures plus tard, on réveilla, dans leur prison, les malheureuses.  On leur annonça  la terrible nouvelle.  
Les forces avaient abandonné Beatrix. Perdue, elle jetait des cris aigus et incessants. Beatrix cédait au plus affreux désespoir.  « Comment, s’écriait-elle, est-il possible qu’ainsi à l’imprévu je doive si vite mourir ? ».

Lucrèce Petroni, sa belle-mère, ne disait rien.  Elle priait à genoux.  Elle encouragea sa fille à l’accompagner dans la chapelle.  Elles devaient se préparer, toutes deux,  à cet ultime passage qui va de la vie à la mort.  Ces paroles rendirent toute sa sérénité à Beatrix.
Elle fit son testament.  A huit heures, elles se confessèrent, entendirent la messe, et communièrent.

Beatrix considéra qu’il était inconvenant de paraître sur l’échafaud avec de beaux vêtements. Elle demanda deux robes, comme celles des religieuses, sans ornements. Celle de Lucrèce était noire, couleur des veuves,  celle de Beatrix, bleue.

On avait dressé  sur la place du Pont de Saint-Ange, un grand échafaud avec une mannaia, une machine à décapiter, ancêtre de la guillotine.

A huit heures du matin, on vint chercher les deux frères.  Giacomo sortit, suivi de Bernardo. Les deux avaient les mains liées.  Les yeux de Bernardo étaient aveuglés par une planchette.  Trop jeune encore, on avait jugé devoir lui cacher la vue de l’échafaud. 

La foule était énorme.  Tous regardaient les deux Cenci.
Au même moment, le procureur de Rome s’avança.  Il annonça à Bernardo que par faveur papale, il était gracié.  Cette grâce l’obligeait, toutefois, d’accompagner sa famille sur l’échafaud et d’assister aux exécutions.  On lui enleva l’écran qui masquait ses yeux. Le bourreau vérifia la signature de la grâce.  Libéré de ses liens, il prit place dans la charrette aux côtés de son frère.  
La foule immense, qui était dans la rue, aux fenêtres et sur les toits, s’émut tout à coup.  On commençait à dire que cet enfant était gracié
Sur la charrette, le bourreau avait ôté l’habit de Giacomo pour le tenailler à rouge, pendant la route.
            Les chants des psaumes commencèrent. La procession s’achemina lentement vers la prison de Corte Savella.  Arrivée à la porte de la prison, le cortège solennel s’arrêta.  Les deux femmes, la tête couverte d’un grand voile, le haut des bras liés au corps, sortirent. 

Elles firent leur dévotion aux pieds du saint crucifix. Ensuite Lucrèce et Beatrix prirent place dans les derniers rangs de la procession.  Elles marchaient l’une après l’autre. Les deux mains libres, les infortunées tenaient un crucifix. 

Dès qu’on apercevait Beatrix, les larmes venaient dans tous les yeux.

            Lucrèce pleurait presque sans arrêt.   Beatrix qui avait retrouvé son courage se mettait à genoux devant chaque église qu’elle voyait.  Alors, elle prononçait d’une voix ferme : Adoramus te, Christe !

La procession eut des difficultés à traverser le bas de la place du pont Saint-Ange, tant elle était encombrée.  On conduisit aussitôt les femmes dans la chapelle qui avait été préparée.

            On entraîna le jeune Bernardo tout droit à l’échafaud.  Il eut une telle peur, qu’il s’évanouit. Revenu à lui, on le plaça, assis, vis-à-vis de l’engin de mort.

            Le bourreau alla chercher Lucrèce.  Ses mains étaient liées derrière le dos.  Elle parut sur la place accompagnée par le saint crucifix, la tête toujours recouverte  d’un grand voile de taffetas noir. Au pied de l’échafaud, on lui dit de laisser ses chaussons sur le pavé.  Comme elle était très corpulente, elle eut quelque peine à monter les marches.   Sur l’échafaud, on lui ôta le voile qui la protégeait. Elle se sentit extrêmement gênée.  La multitude découvrait ses épaules et sa poitrine nue.  Elle se regarda,  regarda la mannaia et pleura doucement. 
Ne sachant que faire, elle demanda comment elle devait se comporter.  On lui répondit de se placer à cheval sur la planche, face à l’instrument.  Ce mouvement lui parut offensant pour sa pudeur. Elle mit beaucoup de temps à le faire.  Sa forte poitrine , l’empêcha de poser correctement le cou dans l’appareil.  Un aide ajouta une pièce de bois pour rehausser l’ensemble.  Pendant ce temps, la pauvre femme attendait.  Elle souffrait plus de honte que de la crainte de la mort.  La pièce enfin ajustée, le bourreau lâcha le couperet.  Le bourreau montra sa tête au peuple. Il l’enveloppa dans le voile qu’elle portait en montant au supplice.

            Pendant qu’on mettait la mannaia en ordre pour la jeune fille, un échafaudage lourdement chargé de monde, s’écroula. Beaucoup furent tués.  Ils parurent ainsi devant Dieu, avant Beatrix.

            Quand Beatrix vit le saint crucifix revenir vers la chapelle pour la prendre, elle demanda si Madame sa mère était-elle bien morte ?
On lui répondit que oui. 
Elle se jeta à genoux devant le crucifix et, pria avec ferveur pour son âme.  Ensuite elle s’entretint à voix haute avec la sainte croix. Elle récita encore plusieurs psaumes et oraisons. 
            Quand le bourreau parut devant elle avec une corde, elle dit :
« lie ce corps qui doit être châtié, et délie cette âme qui doit arriver à l’immortalité ».
Alors elle se leva, fit la prière, laissa ses mules au bas de l’escalier.
Montée sur l’échafaud, elle passa rapidement la jambe sur la planche, se pencha et posa le cou dans la mannaia.
Par la rapidité de ses mouvements, elle évita, qu’au moment où son voile lui fut ôté, que le public  ne vit ses épaules et sa poitrine.
           
Le coup mit longtemps à être donné, car il survint un incident.

            Clément VIII savait Beatrix injustement condamnée. Il était inquiet pour l’âme de la jeune fille.  Il avait demandé que l’on tira un coup de canon du fort Saint-Ange dès que Beatrix eut la tête placée dans la machine. Prévenu de cette manière, il donna aussitôt à la jeune fille l’absolution papale «  in articulo mortis ».

Et, pendant que le pape s’occupait de l’ âme de la malheureuse, Beatrix attendait le cou posé sur le bois de justice.  Elle invoquait à haute voix, les noms de Jésus-Christ et de la Vierge. 

Quand le bourreau crut l’absolution donnée, la lourde lame d’acier tomba.
Tandis que la tête bondissait d’un côté, le corps fit un grand mouvement vers l’arrière.  Le bourreau ramassa la tête et la montra au peuple.

Le pauvre Bernardo s’évanouit à nouveau.  Ranimé, parut alors Giacomo.  On vit sur son corps ensanglanté, les morsures des tenailles rougies au feu.  Mis à genoux.  Les jambes attachées à une traverse.  Les yeux bandés.  Son crâne fut défoncé d’un coup de masse.  Il mourut ainsi.
  Les sentences exécutées, on ramena Bernardo en prison, plus mort que vif.

On déposa les corps des deux femmes dans deux cercueils exposés à quelques pas de l’échafaud, à l’entrée du pont Saint-Ange auprès de la statue de Saint Paul.  Elles restèrent là, jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Autour de chaque cercueil brûlaient quatre cierges de cire blanche.

A neuf heures du soir, l’heure réservée à Rome aux obsèques des princes,  le corps de Beatrix, lavé, recouvert de ses habits et couronné de fleurs, fut porté à l’église de Saint Pierre in Montorio.  Son visage offrait une bouleversante beauté.  On eut dit qu’elle dormait.  Il semblait même qu’elle souriait, comme lorsqu’elle était encore en vie.
           
Beatrix fut inhumée devant le grand autel de cette église. A quelques pas de l’endroit où Saint Pierre fut crucifié.  Elle était accompagnée de cinquante gros cierges allumés et de tous les religieux franciscains de Rome.
J.D.


"ORATE"

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