bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

jeudi 7 avril 2011

Derrière un portrait, un drame. (2e partie)


Monsignor Guerra allait souvent au palais Cenci.  Cet homme d’église, beau,  gracieux dans ses gestes et ses paroles,  était amoureux de Beatrix.  On racontait qu’il avait le projet de quitter le manteau ecclésiastique pour épouser la jeune fille.
Quand le maître de maison était absent, il rendait visite à Beatrix et à Lucrèce.  Il les écoutait décrire les traitements impensables qu’elles subissaient.
Beatrix osa lui parler du projet qu’elles avaient arrêté.  Faire tuer leur persécuteur.  Guerra accepta d’y prendre part, par amour sans doute.  Mais il fallait encore, l’accord du frère aîné, Giacomo.  Il se chargea de le convaincre.  Largement maltraité par son père, Giacomo consentit facilement. 
Loin des oreilles indiscrètes, les réunions pour préparer cet assassinat se tinrent chez Guerra.  On trouva deux individus pour organiser l’affaire. L’un s’appelait Marzio, l’autre Olympio.  Tous deux haïssaient Cenci.

Pour éviter le mauvais air de Rome, il signor Cenci passait les étés dans sa forteresse de la Petrella, dans le latium.
Mal organisé, un premier attentat, sur la route de la forteresse, échoua.  Notre sursitaire, sans se douter qu’il venait d’échapper à la mort, arriva sans accident dans cette demeure.

Les horreurs contre les deux femmes, reprirent de plus belle.
Poussée à bout, par les actes horribles qu’elle devait supporter, Beatrix appela Marzio et Olympio.  Elle leur demanda de se charger eux-mêmes de mettre à mort son père.  Ils acceptèrent en échange une rétribution importante.

Le 9 septembre 1598, dans la soirée, habilement, l’épouse et la fille donnèrent de l’opium à leur bourreau.  Le septuagénaire tomba dans un sommeil lointain.
Vers minuit, Beatrix introduisit dans la forteresse, Marzio et Olympio. Les deux femmes les conduisirent dans la chambre du maître.  Il dormait profondément. Ils restèrent seuls. Beatrix et Lucrèce attendaient dans une chambre voisine. 
Tout à coup, elles virent revenir les deux hommes. Leurs visages étaient blêmes.  Ils n’avaient pas osé tuer le vieux dépravé. La pitié les empêchait d’agir.  Beatrix, indignée, s’emporta.  S’ils n’avaient pas le courage de tuer un homme qui dormait, ils en auraient encore moins si cet homme était réveillé !  Puisque leur  lâcheté le voulait, elle tuerait elle-même son père.
Entraînés par ces paroles foudroyantes, craignant pour leur argent, les deux  assassins rentrèrent dans la chambre, suivis par Beatrix et Lucrèce.
L’assassinat sera terrible de précision et de rapidité.
L’un des deux assassins, posa un grand clou sur un œil du vieillard anesthésié.  L’autre fit entrer ce clou d’un coup de marteau.  Un autre grand clou fut enfoncé dans la gorge.  Le corps se débattit, mais en vain. Le monstre avait cessé de vivre.
L’épouvantable chose faite, Beatrix donna à Olympio une grosse bourse et un manteau de drap garni d’un galon d’or à Marzio.  Après quoi, elle les renvoya.

Les deux femmes restées seules, commencèrent par retirer les clous enfoncés dans l’œil et dans le cou du cadavre. Le corps, enveloppé dans un drap de lit, fut traîné, dans les couloirs, par les deux femmes. D’une galerie qui donnait sur un petit jardin abandonné, elles balancèrent le corps sur un grand arbre qui croissait là.  Elles espéraient que lorsque l’on trouverait le corps, on supposerait que le signor Cenci avait glissé et qu’il était tombé. 

Cela arriva comme elles l’avaient prévu.  On trouva le cadavre.  Un grand tumulte s’éleva dans la forteresse, Lucrèce et Beatrix jetèrent de grands cris et pleurèrent la mort si malheureuse d’un époux et d’un père.

Si Beatrix avait du courage, elle n’avait pas de prudence.  Elle donna à une blanchisseuse du château, le drap ensanglanté du crime.  Elle lui dit de ne pas s’étonner d’une telle quantité de sang, parce qu’elle avait, toute la nuit, souffert d’une grande perte.


On donna une sépulture honorable au défunt, et les femmes revinrent à Rome jouir de cette tranquillité qu’elles avaient tant désirée.  Elles se croyaient heureuses.

Mais la justice eut des doutes.  Elle envoya un commissaire pour enquêter.
Ce commissaire fit arrêter tout ce qui habitait dans la forteresse. Rien ne parut suspect dans les dépositions.  Sauf que la blanchisseuse dit avoir reçu de Beatrix, un drap abondamment taché de sang.  On lui demanda si Beatrix avait expliqué l’origine de ces taches.  La blanchisseuse répondit que Beatrix avait parlé d’une indisposition naturelle.  Le juge lui demanda encore si des taches d’une telle grandeur pouvaient provenir d’une  indisposition féminine, elle répondit que non.
Le juge envoya, immédiatement, ce renseignement à la justice de Rome.  Des mois passèrent, avant que l’on songea à faire interroger les Cenci.

Monsignor Guerra, alerté du danger, dépêcha des truands pour tuer Olympio et Marzio.  Olympio fut tué.  Marzio fut arrêté par la justice.  Il avoua tout.
Sa déposition accusatrice fut aussitôt envoyée à Rome.  On arrêta Giacomo, son frère Bernardo, Beatrix et Lucrèce. 
Marzio fut conduit à Rome.  On le confronta aux deux femmes qui nièrent.  Beatrix ne voulut reconnaître le manteau galonné qu’elle lui avait donné. Celui-ci, devant Beatrix, peut-être par amour, nia tout ce qu’il avait avoué.  Mis à la torture, il n’avoua plus rien.  Il mourut dans les supplices.
Après sa mort, la preuve n’était pas établie.  Les juges ne trouvèrent pas nécessaire de faire torturer les quatre inculpés.  On les enferma au château Saint-Ange.
Tout semblait terminé.  Personne ne doutait dans Rome de la libération prochaine des accusés.  Lorsque, par malchance, la justice arrêta le truand qui avait tué Olympio.  Le scélérat avoua tout.

Monsignor Guerra, compromis par cet aveu, fut cité à comparaître. La prison était certaine et la mort probable.  Il devait fuir Rome.  Très connu, notre homme  parvint cependant, à s’échapper d’une façon fort rocambolesque.  Il abandonnait Beatrix.

La confession de l’assassin d’Olympio, la fuite de monsignor Guerra, ranimèrent les soupçons contre les Cenci.  Du château Saint-Ange on les ramena à la prison Savella.
Les deux frères mis à la torture, avouèrent.  Lucrèce avoua aussi.  Mais il n’en fut pas de même pour Beatrix.
 Ni les bonnes paroles, ni les menaces du juge Moscati n’y firent.  Elle supporta la torture « de la corde » avec  courage.  Jamais Moscati ne put la conduire à une réponse qui put la compromettre.  Bien plus, par la vivacité de son esprit, elle le mata à plusieurs reprises.  Il fut tellement étonné des façons d’agir de Beatrix, qu’il fit un rapport au pape Clément VIII.
Le Pape voulut voir les pièces du procès.  Craignant que Moscati , impressionné, ne ménagea Beatrix.  Le Pape lui ôta la direction de ce procès, et la donna à un autre juge, plus impitoyable.
Cette brute, ce primitif, tortura sans pitié Beatrix, notamment  « ad torturam capillorum » , en la suspendant par les cheveux.  Pendant qu’elle était attachée à la corde, ce second juge fit paraître devant Beatrix, sa belle-mère et ses frères.  Ils lui crièrent que le crime étant commis, il fallait se repentir, et ne pas se laisser briser le corps dans une vaine obstination.  Elle répondit qu’ils voulaient se couvrir de honte et mourir humiliés, qu’ils se trompaient grandement, mais puisqu’ils le voulaient, qu’il en était ainsi.
On la détacha.  Elle demanda qu’on lui lut l’interrogatoire de sa mère.  Elle approuva ce qui devait être approuvé et nia ce qui devait être nié.
Ainsi fut fait.

Le Pape, ayant vu l’acte contenant les aveux de tous, ordonna sans délai qu’ils fussent mis à mort.  Rome entière frémit de cette décision.  Des cardinaux, des princes allèrent demander, à genoux, au Pape que les malheureux puissent présenter leur défense. Le Saint-Père accorda une remise de vingt-cinq jours.  Aussitôt les meilleurs avocats de Rome se mirent à écrire un plaidoyer.  Le vingt-cinquième jour, ils parurent tous ensemble devant Sa Sainteté.
Nicolo de Angelis parla le premier.  Clément VIII, l’interrompit.  Il s’écria que dans Rome, on trouvait des hommes qui tuent leur père, et des avocats pour les défendre.  
Silence dans la salle, tous étaient devenus muets.
L’avocat Farinacci, seul, osa élever la voix et, dit au souverain Pontife, qu’ils n’étaient pas là pour défendre le crime, mais pour prouver, s’ils le pouvaient, qu’un ou plusieurs de ces malheureux étaient innocents du crime commis.
Le Pape, lui fit signe de parler.  Il parla pendant trois heures. Quand l’avocat eut terminé, le Saint-Père prit les plaidoyers et tous se retirèrent. 
Clément VIII passa toute la nuit à lire les justifications.  Il parut si touché, que plusieurs conçurent quelque espoir pour la vie de ces malheureux. 
On mit les accusés au secret.  Ce qui donna de grandes espérances.
Les Romains ne voyaient dans cette histoire, que Beatrix.  On ne pouvait, en véritable justice, lui imputer les crimes d’un monstre.  On la punirait parce qu’elle avait usé du droit de se défendre.  Qu’eût-on fait si elle avait consenti à ces abominations ? Fallait-il que la justice humaine vint augmenter l’infortune de Beatrix ?  Après une vie si malheureuse n’avait-elle pas droit enfin au bonheur ?  Chacun dans Rome semblait chargé de sa défense.
            On commençait à espérer…
J.D.
(A suivre)
             
Clément VIII.

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