bienvenue à tous,

Il me revient un vers de Renée Vivien ( ma poétesse favorite ),
« Quelqu’un
Dans l’avenir
Se souviendra
De nous… »
Cette strophe résume aisément le sujet d’ « histoirecenthistoires ».
L’intérêt porté, par nos contemporains, aux vedettes actuelles occulte
bien souvent le souvenir des célébrités d’autrefois.
Tranquillement, peu à peu, le temps et les hommes ont effacé leurs empreintes de nos mémoires.
Retrouver leurs traces, se souvenir d’elles, est la pensée de ce blog.
J’affectionne aller reconnaître les catacombes du passé, où dorment ces héroïnes et ces héros.
J’aime questionner les ruines des lieux où leurs cœurs battirent. Je m’émerveille de voir ces endroits abandonnés, pourtant magiques, se ranimer, au premier accent du rêve, et retrouver tout leur éclat ancien.
Je vous invite à partager avec moi, ces rêves, ces enchantements, par des textes, de la poésie, des images et des récits de voyages.
C’est à une « odyssée » que je vous convie.
Embarquons alors et voguons !
J .D.

vendredi 29 avril 2011

Echec au roi par le fou.

 
Philippe II.



Charles-Quint avant d’abdiquer, avait engagé avec la France des négociations d’armistice.  Le 5 février 1556, les délégués Espagnols et Français signèrent une trêve à l’abbaye de Vaucelles.  Ce traité, dernier acte de Charles-Quint et le premier de Philippe II, devait encore être approuvé par les rois. 
 
Henri II.
 
  

Le 25 mars, l’amiral de Coligny, représentant Henri II, roi de France, arriva à Bruxelles.  Conformément à l’accord, il venait recevoir le serment des souverains espagnols.  Philippe II accueillit les Français dans la grande salle de l’ancien palais des ducs de Bourgogne.  De riches tapisseries flamandes décoraient les murs.  Elles attirèrent le regard irrité de Coligny et de ses compagnons. Ces grandes tapisseries représentaient la victoire espagnole de Pavie, la capture de François 1er, son embarquement pour la péninsule et sa captivité à Madrid. Oubli? Provocation? Philippe avait commis là, une inconvenance.  Une grave erreur, qui avait blessé l’ambassade française.  Malgré l’offense, les envoyés d’Henri II se continrent. Brusquet, le fou du roi de France, avait suivi Coligny à cette réception.  Le drôle sans dire un mot, n’y prendre de conseil, réfléchit à la manière de venger l’affront. Les Espagnols étaient connus pour leur avarice. Tourner ce défaut en dérision et montrer aux Espagnols la générosité française, voilà un bon tour pour ce manque de courtoisie.


La grande salle du palais.

Le lendemain, une messe fut célébrée dans la chapelle du palais. Le roi, la cour, Coligny, l’ambassadeur de France et tous les grands seigneurs y assistaient.  La messe dite, Philippe II s’approcha de l’autel.  Solennellement, il ratifia, sur les Evangiles, la trêve.  A l’instant, Brusquet et son valet, mêlés à la foule, munis chacun d’un sac d’écus d’or, crièrent « largesse, largesse ».  Le roi se tourna vers l’Amiral, étonné que les Français eussent l’audace de faire largesse chez lui.  Aussi surpris que le roi, Coligny ne dit rien.  Pendant ce temps, nos deux compères, avec allégresse, parsemaient le sol de leurs écus. Croyant à une libéralité du prince, la foule, fort nombreuse, se jeta avec vigueur sur les écus éparpillés.  A leur tour, Les archers de la garde, abandonnant leur poste, se précipitèrent sur les pièces d’or. Ils mirent tant d’ardeur qu’ils renversèrent hommes et femmes. Pour la possession d’une pièce, les gardes pointaient leur hallebarde les uns sur les autres. On criait, on se bousculait, on s’écrasait.  Dans cette « kermesse », les cheveux ébouriffés, les vêtements déchirés, les ecchymoses ne se comptaient plus. A l’écart, joyeux, Brusquet observait ce ballet comique dont il était le chorégraphe.  Le désordre fut tel que le roi, craignant un attentat, se réfugia derrière l’autel.  Les reines douairières de Hongrie et de France n’échappèrent pas à la grande bousculade.
On reconnut bientôt que ces écus sonnaient faux.  Et que le bouffon du roi de France avait voulu venger l’offense des tapisseries. Philippe les fit enlever et pardonna à Brusquet le tumulte


Epilogue.


Le dimanche de Pâques, l’Amiral de Coligny et son entourage rendirent visite à Charles Quint. C’était une belle et dernière occasion de voir le grand empereur.  L’ancien monarque voulut voir Brusquet.  Il lui fit compliment pour sa «largesse».  Brusquet le fit rire. Charles-Quint applaudit. Ainsi finit, dans la bonne humeur, la farce vengeresse du bouffon d’Henri II.

J.D.

Charles-Quint.


N.B : les tapisseries de cette histoire se trouvent au musée de Naples.  Au musée du Louvre, on peut voir certains dessins de celles-ci. 


samedi 23 avril 2011

Poètes oubliés - Henry Casalis.


Médecin engagé dans l’action sociale, Henry Cazalis, naît en 1840, dans la région parisienne.  Outre de nombreuses publications scientifiques, il publie des ouvrages consacrés à l’art.  Très tôt, il  manifeste un goût ardent pour la poésie.  A vingt-cinq ans, il sort son premier recueil de poèmes «Les chants populaires d’Italie ».  Grand voyageur, il pénètre le bouddhisme et les littératures orientales.  Il joint ces découvertes à sa poésie.  Il chante ainsi l’éternelle illusion de la vie.  Paul Bourget compare sa poésie au charme inquiétant et pénétrant de la peinture de Burne Jones et de la musique tzigane.  Il rejoint les Muses à l’âge de soixante-neuf ans.




Toujours.

Tout est mensonge : aime pourtant,
Aime, rêve et désire encore ;
Présente ton cœur palpitant
A ces blessures qu’il adore.

Tout est vanité : crois toujours,
Aime sans fin, désire et rêve ;
Ne reste jamais sans amours,
Souviens-toi que la vie est brève.

De vertu, d’art, enivre-toi ;
Porte haut ton cœur et ta tête ;
Aime la pourpre, comme un roi,
Et, n’étant pas Dieu, sois poète !

Rêver, aimer, seul est réel ;
Notre vie est l’éclair qui passe,
Flamboie un instant sur le ciel,
Et va se perdre dans l’espace.

Seule la passion qui luit
Illumine au moins de sa flamme
Nos yeux mortels avant la nuit
Eternelle, où disparaît l’âme.

Consume-toi donc ; tout flambeau
Jette, en brûlant, de la lumière ;
Brûle ton cœur, songe au tombeau
Où tu redeviendras poussière.

Près de nous est le trou béant ;
Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant ;
Aime, rêve, désire et souffre !

(L’illusion : Chants de l’amour et de la mort)
Henry Cazalis.







jeudi 21 avril 2011

Léopold II expulse Victor Hugo.

Bruxelles, Belgique, 30 mai 1871.

 « Il est enjoint au sieur Hugo de par le roi de quitter le royaume » 
                                                                                  (l’année terrible – Victor Hugo)
Le roi, c’est Léopold II, roi des Belges.

Que s’est-il passé ?
Revenons à l’année précédente.

1870, Napoléon III a déclaré la guerre à la Prusse.  Battu, il abdique et part en exil.  Victor Hugo, proscrit depuis 1851, revient en France.  Il est élu député.  Peu après, son fils Charles meurt brutalement d’une embolie.  Ses funérailles ont lieu à Paris le 18 mars 1871.  Déjà, le canon gronde autour de la capitale. La ville est en état d’insurrection.  On doit enlever des éléments de barricades pour laisser passer le convoi funèbre.  Le 21 mars, Victor part pour Bruxelles régler la succession de son fils.  De cette ville, il suit avec inquiétude les événements parisiens.  Contre les actes du gouvernement réfugié à Versailles, le peuple révolté a déclaré la Commune de Paris.  D’un côté les ouvriers, les artisans, les petites gens, de l’autre la bourgeoisie et la noblesse. Dans les deux camps la même férocité règne. La Commune est impitoyablement écrasée. Une répression sanglante s’abat sur le peuple. Les femmes et les enfants ne sont pas épargnés.  Les « Communards » qui le peuvent, fuient. On les accueille partout en Europe, sauf en Belgique et en Espagne. 
 
Le baron d’Anethan, ministre des affaires étrangères , refuse de donner l’asile aux vaincus de la Commune. « …le gouvernement saura remplir son devoir avec la plus grande fermeté…il usera des pouvoirs dont il est armé pour empêcher l’invasion sur le sol de la Belgique de ces gens qui méritent à peine le nom d’homme… »
 
Victor Hugo, l’humaniste, proteste.  Dans une lettre ouverte dans le journal «l’indépendance belge » publiée le 27 mai, il déclare sa maison bruxelloise ouverte aux réfugiés de la Commune .     « Je proteste contre la déclaration du gouvernement belge relative aux vaincus de Paris.  Quoi qu’on dise et qu’on fasse, ces vaincus sont des hommes politiques.  Je n’étais pas avec eux.  J’accepte le principe de la Commune, je n’accepte pas les hommes… leurs violences m’ont indigné comme m’indigneraient les violences du parti contraire…l’incendie de Paris est un fait monstrueux, mais n’y a-t-il pas deux incendiaires ?  Attendons pour juger… Ne faisons pas verser l’indignation d’un seul côté… quant à moi, je déclare ceci : cet asile que le gouvernement belge refuse aux vaincus, je l’offre.  Où ? En Belgique.  Je fais à la Belgique cet honneur.  J’offre l’asile à Bruxelles, place des barricades n°4 ».


 
Les temps ont changé.  La Belgique n’est plus celle de 1851.  Elle n’est plus une terre d’asile.  A Bruxelles, la générosité des bourgmestres de Brouckère et Fontainas n’est plus qu’un souvenir.  Dans la capitale belge, règne Jules Anspach, l’homme  aux belles décorations.  Un conservatisme clérical conduit la politique du gouvernement de ce pays.  Un rêveur humaniste n’y a plus sa place.

            La prise de position de l’écrivain, scandalise le gouvernement et les députés de sa majorité.  Pour le marquis de Rodes c’est un défi, et presque un outrage à la morale publique.  Le prince de Ligne la considère comme une bravade.   Le baron d’Anethan la juge comme une provocation au mépris des lois.  Le Comte de Ribaucourt  appelle Victor Hugo : « l’individu ».
Aussi dans la nuit du 27 au 28 mai, une cinquantaine de jeunes gens de la bonne société bruxelloise, commandés par le fils du ministre de l’intérieur, Kervyn de Lettenhove, assiégent la maison du poète.  Laissons Victor raconter l’incident.

Une nuit à Bruxelles.

Aux petits incidents il faut s’habituer.
Hier on est venu chez moi pour me tuer.
Mon tort dans ce pays, c’est de croire aux asiles.
On ne sait quel ramas de pauvres imbéciles
S’est rué tout à coup la nuit sur ma maison.
Les arbres de la place en eurent le frisson,
Mais pas un habitant ne bougea.  L’escalade
Fut longue, ardente, horrible, et Jeanne était malade.
J’en conviens que j’avais pour elle un peu d’effroi,
Mes deux petits-enfants, quatre femmes et moi,
C’était la garnison de cette forteresse.
Rien ne vint secourir la maison en détresse.
La police fut sourde ayant affaire ailleurs.
Un dur caillou tranchant effleura Jeanne en pleurs.
Attaque de chauffeurs en pleine Forêt-Noire.
Ils criaient : « une échelle ! une poutre ! victoire !
Fracas où se perdaient nos appels sans écho.
Deux hommes apportaient du quartier Pacheco
Une poutre enlevée à quelque échafaudage.
Le jour naissant gênait la bande.  L’abordage
cessait, puis reprenait.  Ils hurlaient haletants.
La poutre par bonheur n’arriva pas à temps.
-Assassin - c’était moi – nous voulons que tu meures !
Brigand ! bandit ! ceci dura deux bonnes heures.
George avait calmé Jeanne en lui prenant la main.
Noir tumulte.  Les voix n’avaient plus rien d’humain.
Pensif, je rassurais les femmes en prières,
Et ma fenêtre était trouée à coups de pierres,
Il manquait là des cris de vive l’empereur !
La porte résista battue avec fureur.
Cinquante hommes armés montrèrent ce courage.
Et mon nom revenait dans les clameurs de rage :
A la lanterne ! à mort ! qu’il meure ! il nous le faut !
Par moments, méditant quelque nouvel assaut,
Tout ce tas furieux semblait reprendre haleine ;
Court répit ; un silence obscur et plein de haine
Se faisait entendre au milieu de ce sombre viol ;
Et j’entendais au loin chanter un rossignol.
                                               Bruxelles, le 29 mai.
Victor Hugo  « L’année terrible ».


 
Profitant de cet incident violent qui avait sa bénédiction tacite, le gouvernement belge va expulser le poète.
Attendu que la tranquillité publique est menacée par la présence de Victor Hugo sur le territoire du royaume !  Il faut l’expulser.
Le 30 mai, l’arrêté d’expulsion est prêt.  Le 31, Victor va chercher son passeport pour le Luxembourg.  Le même jour, au parlement, cinq députés interpellent le gouvernement contre cette expulsion et sur les événements de la place des barricades.  Après une discussion houleuse, l’expulsion est maintenue.

Au moment de quitter la Belgique, le 1er juin, Victor écrit au journal « l’indépendance belge » : « …Je remercie les hommes éloquents qui ont défendu, non pas moi qui ne suis rien, mais la vérité qui est tout…demain toute trace aura à peu près disparu, et les témoins seront dispersés ; l’intention de ne rien voir est ici évidente.  Après la police sourde, la justice aveugle.  Pas une déposition n’a été judiciairement recueillie ; et le principal témoin, qu’avant tout on devait appeler, on l’expulse… »
« …Du reste, je persiste à ne pas confondre le peuple belge avec le gouvernement belge, et, honoré d’une longue hospitalité en Belgique, je pardonne au gouvernement et je remercie le peuple… » Victor Hugo  « actes et paroles ».

Epilogue.

L’incident belge ne s’achève pas avec le départ de Victor.  La presse catholique continue à harceler le poète et sa famille.  Malgré de nombreuses manifestations en sa faveur, Victor est couvert d’injures et de calomnies.  La France n’est pas en reste.  Le pouvoir se félicite de la décision prise par la Belgique.  Le bourgmestre de Bruxelles, Jules Anspach est nommé, par le gouvernement français, commandeur de la légion d’honneur, pour sa belle police au bois dormant.
Chassé de Belgique par un roi, pratiquement interdit de séjour à Paris par la réaction versaillaise, le poète retrouve les misérables.  Ces pauvres qu’on fusille parce qu’ils ont faim.
Victor redevient alors, le proscrit de 1851, quand il écrivait les « Châtiments ».  Un titan exilé par un nain, qui de Napoléon III le petit est devenu Léopold II, roi de troisième ordre. Dans un poème écrit au Luxembourg, Victor Hugo s’adresse à Léopold II :

« Roi, tu m’as expulsé, me dit-on.  Peu m’importe.
De plus, un acarus, dans un journal cloporte,
M’outrage de ta part et de la part du ciel ;
Affront royal qui bave en style officiel.
Je ne te réponds pas.  J’ai cette impolitesse.
Vois-tu, roi, ce n’est pas grand-chose qu’une altesse… 
...Tu peux tranquillement décorer ton bourgmestre… »
Comme elle l’avait décrété, sous peine d’arrestation, L’auteur de « Notre Dame de Paris » et de tant d’autres grandes œuvres, ne revint plus en Belgique.

Lorsque les cendres de Victor furent conduites au Panthéon, accompagnées de deux millions de personnes, on remarqua, parmi les délégations du monde entier présentes,  une bannière portant l’inscription : « Les Belges protestants contre l’arrêté royal du 30 mai 1871 ».
___________

 « … Quand on pense que rien de tout cela ne serait arrivé si l’on avait pendu Voltaire et mis Rousseau aux galères !...tout est venu des écrivailleurs et des rimailleurs…les livres font les crimes… »
Extraits de « quatre-vingt treize » de Victor Hugo.


N.B. : Sur le territoire de la ville de Bruxelles, on ne trouve aucun lieu public portant le nom de Victor Hugo.  Mais il existe un boulevard Anspach.  A chacun son Panthéon.

 


vendredi 15 avril 2011

Poètes oubliés.

Achille Millien est né, en France, dans le Nivernais en 1838. Après des études à Nevers, il devient clerc de notaire.  Il quitte rapidement le notariat pour se consacrer à sa vocation : les lettres.  En 1860, il publie son premier recueil de poésie : La moisson.
Victor Hugo lui écrit : « la senteur des prés et les souffles des bois sont dans vos charmantes géorgiques. ».  Encouragé, il continue à publier.  Poète de terroir essentiellement, il glorifie sa région natale, ses mœurs et ses traditions. Il est mort en 1927.


            Les trois filles.

Trois filles – c’est à l’heure où la journée expire-
S’en vont le long des prés et la main dans la main.
L’une chante gaiement en suivant en suivant le chemin,
L’autre rêve et sourit, la troisième soupire.

L’une dit : « qu’est-ce donc que l’amour, ô mes sœurs ?
-          Je l’ignore, répond la seconde ; en un livre
J’ai lu que sans l’amour un cœur ne saurait vivre.
-          L’amour, je le connais, reprend l’autre, et j’en meurs ! »

(Chez nous)
Achille Millien.

jeudi 14 avril 2011

Les fêtes johanniques à Orléans

Le 8 mai prochain, comme chaque année, la ville d’Orléans célèbrera les fêtes johanniques.  Cette grande manifestation populaire prend son origine au XVe siècle.

A cette époque, la France se coupait en deux.
Pour une question de succession, les rois anglais disputaient aux rois français, la couronne de France.  Cette querelle se réglait les armes à la main depuis 1337.
Et voilà qu’en 1420 à Troyes, tout ce monde se réconcilie. Le roi de France Charles VI donne sa fille en mariage au  roi d’Angleterre Henri V.  Les deux souverains conviennent que le premier fils du couple sera à la fois roi d’Angleterre et roi de France.  On ne se fait plus la guerre.  Tout le monde est content.

Tout le monde ?  Quelqu’un a été oublié dans cet arrangement.  Déshérité par ce mariage, Charles, le fils de Charles VI, n’est pas content.  Il va le faire savoir.
A la mort de son père, il se proclame roi de France.  La guerre recommence. 

Les Anglais aidés par les Bourguignons descendent dans la vallée de la Loire. Ils veulent déloger Charles qui s’est réfugié à Chinon.
            Pour y arriver, les Anglais doivent s’emparer d’Orléans, fidèle à Charles.   
Les Anglais mettent le siège devant cette ville en octobre 1428.  En Avril 1429, ils en sont au même point.  La ville tient bon.

Fin avril, Charles envoie un convoi de ravitaillement aux assiégés.
C’est un énorme convoi.  On leur expédie du blé, des armes.  On leur envoie quantité  de veaux, de porcs, de vaches, six cents têtes au total.  Et au milieu de tout cela, chevauche une jeune fille de seize ans, avec un petit nombre de soldats.
 
Cette jeune fille, que le roi envoie à Orléans, a une réputation de sainte.  Elle arrive d’un village du nom de Domrémy.  Elle s’appelle Jeanne.  Elle veut se battre.  Dieu l’envoie chasser les Anglais de France.  Mais le roi Charles ne veut pas d’histoires militaires.  Il a déjà essuyé quelques défaites. Ça lui suffit. Pas d’offensives a dit Charles à ses capitaines.  Jeanne sera présentée comme une envoyée de Dieu.  Elle regonflera le moral des habitants.  Voilà tout !

            Jeanne, à qui on avait fait faire une armure, croit qu’elle va se battre.  Mais en réalité elle est un élément nouveau dans la politique de Charles.  On envoie aux Orléanais du matériel, du ravitaillement, et du moral. Le moral, c’est elle, l’espèce de petite sainte.

Si bien que lorsque Jeanne arrive dans la ville, elle ne décolère pas pendant des jours.  Les chefs militaires lui disent : « Ecoutez Jeanne, vous êtes bien gentille, mais laissez faire les militaires », « mais je suis là pour me battre » et les capitaines, qui ont des ordres du roi lui répondent «  non Jeanne, on ne se bat pas  ».
            Jeanne est vraiment furieuse.  « Vous ne voulez  pas vous battre, eh bien, vous vous battrez quand même ! »
            Et voilà ce qu’elle va faire :
Le roi lui avait donné une petite maison militaire.  Il lui avait donné un intendant, des petits hérauts d’armes, un caissier, et même un chapelain.
Alors dans la nuit du 5 au 6 mai, Jeanne dit à l’un de ses petits hérauts : « Demain matin, au lever du soleil, tu viendras me réveiller.  Tu m’aideras à mettre mon armure.  Après, tu m’apporteras mon cheval. Alors, je sortirai de la ville et j’entraînerai derrière moi tous ces gens qui m’ont acclamé. Avec cette foule qui me fait confiance, j’attaquerai les Anglais.

Mais la ville était bien fermée. Au petit matin, Jeanne a bien réuni tous ces gens.  Des tas de gens, des civils sont venus autour d’elle avec ce qui pouvait comme armes.  Alors Jeanne se dirige vers la porte.  La porte est fermée. Jeanne dit « ouvrez ! », « on ne peut pas, répondent les sentinelles, c’est monsieur de Gaucourt qui a les clefs ».
Raoul de Gaucourt, gouverneur militaire de la ville, entend ce tumulte qui était énorme.  Il vient sur place. Il voit Jeanne et lui dit : « vous ne pouvez pas passer ».  Plus tard, Gaucourt dira « elle m’a appelé mauvais homme ».  Il a peur.  Il dira encore « j’ai eu peur de me faire écharper, elle avait les yeux hors de la tête.  Elle aurait lancé ces gens contre moi ».
            On ouvre les portes.  Jeanne se précipite suivie de ces manants.  Avec ces braves types en civil, elle va attaquer les Anglais.

            Les capitaines ont tout de même peur.  Ils se disent qu’ils ne peuvent pas la laisser se faire massacrer comme ça.  Ils auraient des histoires avec le roi.  Alors, ils vont faire sortir leurs soldats.  Les capitaines vont, de force, devoir aller aider Jeanne.
            Et elle réussit, les Anglais évacuent, sans combattre, une première bastille, celle de Saint-Jean le Blanc.  Ils se réfugient dans une autre bastille, celle des  Augustins, que Jeanne enlève.  Elle va attaquer une troisième bastille, qui était un énorme fort, appelé « les tourelles », qui se trouvait devant le pont d’Orléans.

            Et à ce moment là, les capitaines ne peuvent plus l’abandonner.  Ils ont engagé leurs combattants.  Jeanne va être blessée devant les tourelles.  Elle se bat comme une vraie petite lionne.  Elle grimpe le long des murs. Elle crie.  Elle encourage.  Elle se montre partout où il y a du danger.
            Comment voulez-vous, que les mâles ne fassent pas, ce que fait cette petite femelle.  Elle est blessée, elle reçoit une flèche qui lui entaille l’épaule.  Les capitaines se disent malheureusement, ou plutôt heureusement, elle est hors de combat.  On va pouvoir s’arrêter.
            Pas du tout ! de l’huile et du lard frais sur sa blessure et elle recommence à se battre.  Et on enlève les tourelles aux Anglais.  Les capitaines sont stupéfaits.

Le lendemain, c’est le dimanche 8 mai.  Les Anglais, ou ce qu’il en reste, se forment en bataille. Tout le monde est sur les remparts.  On entend les Anglais faire des commandements que personne ne comprend.  Vont-ils attaquer ?  Pas du tout ! Ils s’en vont !
Il n’a fallut que quarante-huit heures, du 6 au 8 mai, pour que les Anglais se considèrent comme battus.  Cela faisait sept ou huit mois qu’ils faisaient le siège d’Orléans et ce dimanche 8 mai, ils s’en vont.
Tout de même extraordinaire la petite Jeanne !
  
La ville est délivrée.  Jeanne demande alors, que l’on organise une grande procession.  Elle y participe avec les capitaines, les échevins et tout le peuple d’Orléans.


Depuis presque six siècles, les 7 et 8 mai, Orléans perpétue fidèlement le souvenir de cette procession, demandée par Jeanne.  Ce sont les fêtes johanniques.

 
Le 29 avril, dans la soirée, un défilé, partant de la porte de Bourgogne, évoque l’entrée de Jeanne dans la ville.

 
Le 7 mai, à midi, les cloches sonnent à toute volée et une fanfare du haut du vieux beffroi se met à jouer.  Le maire présente alors à la population, l’étendard de Jeanne.  Le soir se déroule la « remise de l’étendard de Jeanne » par le maire à l’évêque sur le parvis de la cathédrale embrasée. 
Le 8 mai, après une messe d’action de grâces, un imposant cortège, composé des corps constitués, en grande tenue, des autorités religieuses, de l’armée, de diverses associations et communautés, se rend sur l’emplacement du fort des tourelles où Jeanne remporta la victoire.  De nombreuses manifestations populaires accompagnent ces cérémonies officielles. Le tout se termine par un grand d’artifice sur les bords de la Loire.  C’est la fête à Orléans !










Orléans n’a jamais oublié cette enfant de seize ans, venue des bords de Meuse, pour la libérer.  Par les fêtes johanniques, cette cité lui rend hommage et lui témoigne sa gratitude depuis 1429.
J.D.
  

dimanche 10 avril 2011

Derrière un portrait, un drame - 3e partie.


On commençait à espérer que Clément VIII pardonnerait.  Rome tout entière était dans l’anxiété.  Quand la nouvelle d’un nouveau crime parvint au Pape.

Pour une question d’héritage, la marquise de Santa-Croce venait d’être poignardée par son fils.  Clément VIII se rappela alors le fratricide des Massimi.  Cette répétition d’assassinats commis sur des parents, obligea Clément VIII, malgré lui, à sévir. 
Dès lors, Il ne crut plus pouvoir pardonner.
  
Le  vendredi, 10 septembre 1599, à quatre heures de l’après-midi, il appela le gouverneur de Rome.  Il lui remit l’affaire des Cenci, pour que justice soit faite sans retard.
Pendant toute la nuit, les seigneurs romains affluèrent au palais du Pape et aux palais des cardinaux. Ils voulaient obtenir que les deux femmes fussent exécutées à l’intérieur de la prison et non sur la place publique.  Que l’on fit aussi grâce au jeune Bernardo, qui n’avait que quinze ans et qui était innocent. 
Le cardinal Sforza et d’autres cardinaux tentèrent en vain de convaincre Clément VIII.
Le crime de Santa-Croce l’était pour l’argent, celui de Beatrix pour sauver l’honneur.
L’avocat Farinacci intervint.  Il parvint jusqu’au Pape, et lui arracha, in extremis, la grâce de Bernardo.
Il était quatre heures du matin, ce samedi 11 septembre. 

Deux heures plus tard, on réveilla, dans leur prison, les malheureuses.  On leur annonça  la terrible nouvelle.  
Les forces avaient abandonné Beatrix. Perdue, elle jetait des cris aigus et incessants. Beatrix cédait au plus affreux désespoir.  « Comment, s’écriait-elle, est-il possible qu’ainsi à l’imprévu je doive si vite mourir ? ».

Lucrèce Petroni, sa belle-mère, ne disait rien.  Elle priait à genoux.  Elle encouragea sa fille à l’accompagner dans la chapelle.  Elles devaient se préparer, toutes deux,  à cet ultime passage qui va de la vie à la mort.  Ces paroles rendirent toute sa sérénité à Beatrix.
Elle fit son testament.  A huit heures, elles se confessèrent, entendirent la messe, et communièrent.

Beatrix considéra qu’il était inconvenant de paraître sur l’échafaud avec de beaux vêtements. Elle demanda deux robes, comme celles des religieuses, sans ornements. Celle de Lucrèce était noire, couleur des veuves,  celle de Beatrix, bleue.

On avait dressé  sur la place du Pont de Saint-Ange, un grand échafaud avec une mannaia, une machine à décapiter, ancêtre de la guillotine.

A huit heures du matin, on vint chercher les deux frères.  Giacomo sortit, suivi de Bernardo. Les deux avaient les mains liées.  Les yeux de Bernardo étaient aveuglés par une planchette.  Trop jeune encore, on avait jugé devoir lui cacher la vue de l’échafaud. 

La foule était énorme.  Tous regardaient les deux Cenci.
Au même moment, le procureur de Rome s’avança.  Il annonça à Bernardo que par faveur papale, il était gracié.  Cette grâce l’obligeait, toutefois, d’accompagner sa famille sur l’échafaud et d’assister aux exécutions.  On lui enleva l’écran qui masquait ses yeux. Le bourreau vérifia la signature de la grâce.  Libéré de ses liens, il prit place dans la charrette aux côtés de son frère.  
La foule immense, qui était dans la rue, aux fenêtres et sur les toits, s’émut tout à coup.  On commençait à dire que cet enfant était gracié
Sur la charrette, le bourreau avait ôté l’habit de Giacomo pour le tenailler à rouge, pendant la route.
            Les chants des psaumes commencèrent. La procession s’achemina lentement vers la prison de Corte Savella.  Arrivée à la porte de la prison, le cortège solennel s’arrêta.  Les deux femmes, la tête couverte d’un grand voile, le haut des bras liés au corps, sortirent. 

Elles firent leur dévotion aux pieds du saint crucifix. Ensuite Lucrèce et Beatrix prirent place dans les derniers rangs de la procession.  Elles marchaient l’une après l’autre. Les deux mains libres, les infortunées tenaient un crucifix. 

Dès qu’on apercevait Beatrix, les larmes venaient dans tous les yeux.

            Lucrèce pleurait presque sans arrêt.   Beatrix qui avait retrouvé son courage se mettait à genoux devant chaque église qu’elle voyait.  Alors, elle prononçait d’une voix ferme : Adoramus te, Christe !

La procession eut des difficultés à traverser le bas de la place du pont Saint-Ange, tant elle était encombrée.  On conduisit aussitôt les femmes dans la chapelle qui avait été préparée.

            On entraîna le jeune Bernardo tout droit à l’échafaud.  Il eut une telle peur, qu’il s’évanouit. Revenu à lui, on le plaça, assis, vis-à-vis de l’engin de mort.

            Le bourreau alla chercher Lucrèce.  Ses mains étaient liées derrière le dos.  Elle parut sur la place accompagnée par le saint crucifix, la tête toujours recouverte  d’un grand voile de taffetas noir. Au pied de l’échafaud, on lui dit de laisser ses chaussons sur le pavé.  Comme elle était très corpulente, elle eut quelque peine à monter les marches.   Sur l’échafaud, on lui ôta le voile qui la protégeait. Elle se sentit extrêmement gênée.  La multitude découvrait ses épaules et sa poitrine nue.  Elle se regarda,  regarda la mannaia et pleura doucement. 
Ne sachant que faire, elle demanda comment elle devait se comporter.  On lui répondit de se placer à cheval sur la planche, face à l’instrument.  Ce mouvement lui parut offensant pour sa pudeur. Elle mit beaucoup de temps à le faire.  Sa forte poitrine , l’empêcha de poser correctement le cou dans l’appareil.  Un aide ajouta une pièce de bois pour rehausser l’ensemble.  Pendant ce temps, la pauvre femme attendait.  Elle souffrait plus de honte que de la crainte de la mort.  La pièce enfin ajustée, le bourreau lâcha le couperet.  Le bourreau montra sa tête au peuple. Il l’enveloppa dans le voile qu’elle portait en montant au supplice.

            Pendant qu’on mettait la mannaia en ordre pour la jeune fille, un échafaudage lourdement chargé de monde, s’écroula. Beaucoup furent tués.  Ils parurent ainsi devant Dieu, avant Beatrix.

            Quand Beatrix vit le saint crucifix revenir vers la chapelle pour la prendre, elle demanda si Madame sa mère était-elle bien morte ?
On lui répondit que oui. 
Elle se jeta à genoux devant le crucifix et, pria avec ferveur pour son âme.  Ensuite elle s’entretint à voix haute avec la sainte croix. Elle récita encore plusieurs psaumes et oraisons. 
            Quand le bourreau parut devant elle avec une corde, elle dit :
« lie ce corps qui doit être châtié, et délie cette âme qui doit arriver à l’immortalité ».
Alors elle se leva, fit la prière, laissa ses mules au bas de l’escalier.
Montée sur l’échafaud, elle passa rapidement la jambe sur la planche, se pencha et posa le cou dans la mannaia.
Par la rapidité de ses mouvements, elle évita, qu’au moment où son voile lui fut ôté, que le public  ne vit ses épaules et sa poitrine.
           
Le coup mit longtemps à être donné, car il survint un incident.

            Clément VIII savait Beatrix injustement condamnée. Il était inquiet pour l’âme de la jeune fille.  Il avait demandé que l’on tira un coup de canon du fort Saint-Ange dès que Beatrix eut la tête placée dans la machine. Prévenu de cette manière, il donna aussitôt à la jeune fille l’absolution papale «  in articulo mortis ».

Et, pendant que le pape s’occupait de l’ âme de la malheureuse, Beatrix attendait le cou posé sur le bois de justice.  Elle invoquait à haute voix, les noms de Jésus-Christ et de la Vierge. 

Quand le bourreau crut l’absolution donnée, la lourde lame d’acier tomba.
Tandis que la tête bondissait d’un côté, le corps fit un grand mouvement vers l’arrière.  Le bourreau ramassa la tête et la montra au peuple.

Le pauvre Bernardo s’évanouit à nouveau.  Ranimé, parut alors Giacomo.  On vit sur son corps ensanglanté, les morsures des tenailles rougies au feu.  Mis à genoux.  Les jambes attachées à une traverse.  Les yeux bandés.  Son crâne fut défoncé d’un coup de masse.  Il mourut ainsi.
  Les sentences exécutées, on ramena Bernardo en prison, plus mort que vif.

On déposa les corps des deux femmes dans deux cercueils exposés à quelques pas de l’échafaud, à l’entrée du pont Saint-Ange auprès de la statue de Saint Paul.  Elles restèrent là, jusqu’à quatre heures de l’après-midi. Autour de chaque cercueil brûlaient quatre cierges de cire blanche.

A neuf heures du soir, l’heure réservée à Rome aux obsèques des princes,  le corps de Beatrix, lavé, recouvert de ses habits et couronné de fleurs, fut porté à l’église de Saint Pierre in Montorio.  Son visage offrait une bouleversante beauté.  On eut dit qu’elle dormait.  Il semblait même qu’elle souriait, comme lorsqu’elle était encore en vie.
           
Beatrix fut inhumée devant le grand autel de cette église. A quelques pas de l’endroit où Saint Pierre fut crucifié.  Elle était accompagnée de cinquante gros cierges allumés et de tous les religieux franciscains de Rome.
J.D.


"ORATE"